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Soutien à domicile : la déqualification du travail des femmes n’est pas une solution

16 mai 2025

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Dans la foulée des consultations sur la future politique de soutien à domicile, on apprend que la ministre responsable des Ainés, Sonia Bélanger, favorise une diminution de la qualification du personnel et une présence accrue du privé dans la composante centrale du soutien à domicile, soit l’aide à domicile. 

La qualification implique la reconnaissance des savoirs déployés pour réaliser le travail et dépend notamment des exigences de formation et des conditions de travail. Depuis leur intégration aux CLSC dans les années 1970, les auxiliaires aux services de santé et sociaux (ASSS) offrant les services publics d’aide à domicile ont lutté pour avoir leur place dans les équipes, aux côtés du personnel professionnel, et faire reconnaître leur travail, sans cesse déqualifié. Les exigences de formation et leurs conditions de travail se sont dégradées au fil des réformes, mais elles demeurent largement supérieures à celles s’appliquant au personnel employé par le privé. C’est à ce personnel que la ministre Bélanger veut donner un rôle accru, alors que le secteur privé dispense déjà la grande majorité des heures de services d’aide à domicile de longue durée.

Ce processus de déqualification n’est pas nouveau et il affecte déjà la qualité des services offerts. Les ASSS du secteur public se voyaient auparavant exiger une formation au secondaire professionnel de 960 heures. En 2018, elle est fusionnée avec celle des préposés aux bénéficiaires et réduite à 870 heures; seulement 105 heures portent sur le travail à domicile. En 2024, une autre formation écourtée à 705 heures, associée à une bourse, est créée par le gouvernement pour attirer plus d’ASSS dans les établissements publics.

Dans les entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD), la formation ne dure que 139 heures pour les préposées effectuant les mêmes tâches d’assistance personnelle (soins d’hygiène, soutien à la mobilité, etc.) que celles des ASSS. Pour les préposées employées dans le programme du Chèque emploi-service (CES), que la ministre Bélanger veut rendre plus accessible, les exigences de formation pour des tâches similaires sont déterminées par les personnes usagères, qui assument les responsabilités de l’employeur. Ces exigences peuvent être nulles, ou le plus souvent d’une vingtaine d’heures, centrées sur les déplacements sécuritaires et la réanimation cardio-respiratoire.

Réduire la qualification du personnel apparaît illogique alors que le travail s’alourdit. Le vieillissement de la population (souvent accompagné de pertes cognitives et d’incapacités), la multiplication de problèmes sociaux et le manque de temps pour la dimension relationnelle du travail sont invoqués sur le terrain. 

Paradoxalement, ce processus de déqualification s’accompagne d’une délégation grandissante de tâches spécialisées auparavant réservées au personnel infirmier. Ainsi, depuis la réforme du Code des professions de 2003, les ASSS et les préposées d’EÉSAD et du CES sont appelées à réaliser, à la suite d’une formation d’à peine 14 heures, des soins complexes et invasifs tels que l’alimentation par gavage, l’aide à l’élimination lors d’une stomie intestinale ou les soins liés à une trachéotomie. 

Précisons enfin que la déqualification du travail dans l’aide à domicile risque d’affecter triplement les femmes, principales responsables du travail de soin, qu’il soit reconnu et salarié ou non. À titre de personnes usagères des services, dont elles constituent la majorité, elles risquent de subir une dégradation des services reçus.  En tant que proches aidantes, elles devront compenser encore plus. Quant aux travailleuses salariées, réduire leur qualification revient à invisibiliser une partie de leur travail dans ce secteur majoritairement féminin et à forte proportion de personnes immigrantes. 

Avec la complexification des besoins des personnes usagères, notamment liée au vieillissement, la solution est plutôt d’améliorer la qualification et les conditions de travail ainsi que la continuité des soins au sein des équipes multidisciplinaires du secteur public. L’attraction et la rétention de la main-d’œuvre ainsi que la qualité des soins en dépendent.

Cet article est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 16 mai 2025 du Devoir

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