Démocratiser l’économie grâce aux coopératives de travail
1 mai 2025
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Il a beaucoup été question, depuis la « guerre tarifaire » déclenchée par les États-Unis, de l’importance pour le Canada de diversifier ses partenaires commerciaux afin de moins dépendre de son turbulent voisin. Cette diversification est sans contredit souhaitable, tout comme l’est d’ailleurs celle de la structure industrielle du pays.
Mais dans un contexte où les inégalités de revenu sont en hausse et où la croissance de l’activité économique approfondit une crise écologique insoutenable, une transformation plus fondamentale de l’économie est nécessaire pour protéger durablement la qualité de vie des individus et l’intégrité des écosystèmes.
À l’heure où, par ailleurs, la condition salariale est associée à un lot important de problèmes sociaux et à de multiples souffrances individuelles, il serait tout aussi bénéfique de viser une diversification des formes d’entreprises qui composent le tissu économique de la société.
En régime capitaliste, la société par actions est la forme dominante de l’entreprise, tandis que la forme la plus répandue d’entreprise est celle détenue par un ou des propriétaires. Marginales, les coopératives, dont celles détenues par les salariés, sont des entreprises qui gagneraient pour leur part à se multiplier.
Une coopérative de travail est « une entreprise gérée démocratiquement par ses membres-travailleur·euses, qui en sont les copropriétaires. » Le Québec en comptait près de 300 en avril 2025, ce qui représente un infime 0,03% des entreprises actives dans la province. Notons toutefois que plusieurs organisations sans but lucratif, bien qu’elles ne soient pas constituées en coop, sont gérées de manière démocratique par leurs employé·e·s (c’est le cas par exemple de l’IRIS!). Quant aux coopératives en tout genre (de consommateurs, de solidarité, etc.), il y en avait 2721, soit 0,3% des entreprises du Québec. La province compte toutefois le plus grand nombre de coops au Canada.
Ce nombre restreint ne dit rien sur les qualités du modèle coopératif, qui sont pourtant nombreuses. Contrairement aux entreprises traditionnelles qui sont généralement administrées en fonction de l’objectif de générer des profits ou des rendements pour les actionnaires, les coopératives sont guidées par un ensemble de principes (pouvoir démocratique exercé par les membres, participation économique des membres, autonomie et indépendance, engagement envers la communauté, etc.) et de valeurs (solidarité, responsabilité sociale, altruisme, démocratie, égalité, etc.) qui renforcent leur utilité sociale et favorisent l’engagement des travailleurs et des travailleuses.
C’est ce qui peut expliquer leur longévité plus grande. En effet, le taux de survie des coopératives après 3 ans s’établissait à 79,9 % en 2022 au Québec, en hausse par rapport à 2008 (74,9 %) et loin devant celui de l’ensemble des entreprises, qui s’élevaient à 48,2 %. Dix ans après leur création, 44,4 % des coopératives étaient encore en activité, contre seulement 19,5 % des entreprises en moyenne au Québec.
On peut donc dire que les coopératives sont des entreprises plus résilientes, pour employer un terme à la mode. Mais leur avantage réside aussi dans leur capacité à répondre aux besoins collectifs sans compromettre celle des générations futures à faire de même. C’est donc la résilience de l’économie en général qui croît avec leur présence sur un territoire.
Les coopératives ont aussi plus de chances d’offrir de bonnes conditions de travail à leurs employé·e·s et de se développer dans le respect de leur environnement (au sens large) étant donné qu’elles sont dirigées par les travailleuses et les travailleurs, que ceux-ci gèrent une entreprise dont l’activité se déroule bien souvent près de leur lieu de résidence, et parce que cette activité est tournée vers des nécessités définies de manière collective. Autrement dit, elles peuvent contribuer à lutter contre les inégalités et la dégradation des écosystèmes tout en accroissant le pouvoir des individus sur leurs conditions d’existence.
Les coopératives offrent ainsi une réponse aux lacunes de bien des entreprises traditionnelles, qui sont d’ailleurs celles de l’économie capitaliste en général : la concentration du pouvoir décisionnel, la répartition inéquitable des fruits de la production, et l’exploitation délétère de la nature et des êtres humains.
Évidemment, elles évoluent comme les autres entreprises à l’intérieur du cadre économique dominant, avec toutes les contraintes que cela impose, et leur simple existence ne suffit pas à opérer une sortie du capitalisme. En revanche, on peut les voir comme un lieu d’innovation sociale ainsi que d’apprentissage de l’autonomie et de la démocratie où il est plus aisé de déployer une activité économique selon des principes non capitalistes.
Alors que s’enracine dans plusieurs pays une nouvelle variante autoritaire du capitalisme, miser sur une prise en charge collective de l’économie apparaît comme une voie de transition qu’il est impératif d’emprunter.