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Imposer les gains en capital, une injustice envers la classe moyenne?

27 avril 2024

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5min

  • Maxim Fortin

Chaque budget fédéral ou provincial ramène à l’avant-plan la question de l’équité fiscale. Le dernier budget fédéral, déposé par la ministre libérale des Finances, Chrystia Freeland, ne fait pas exception à cette règle, d’autant plus qu’il amène des changements quant à l’imposition des gains en capital. Dès le 25 juin, le taux d’inclusion des gains en capital passera de 50 % à 66,7 %, une mesure s’appliquant uniquement aux gains de plus de 250 000 $.

Alors que nous considérons que ce budget n’offre que des « demi-mesures », nous nous étonnons de la levée de boucliers contre cette initiative, qui nous apparaît comme un simple et nécessaire rattrapage fiscal. Certes, le dernier budget ne s’attaque pas à l’évasion fiscale, pas plus qu’il n’amorce un virage vers un impôt progressif. Néanmoins, les changements qu’il apporte sur le plan fiscal permettront d’augmenter la contribution des mieux nantis au Trésor public, ceux-ci ayant bénéficié pendant plusieurs années de nombreux privilèges fiscaux.

Le gouvernement québécois a d’ailleurs décidé d’emboîter le pas au fédéral en annonçant qu’il haussait lui aussi les seuils d’imposition de la richesse. Dès le mois de juin, le profit réalisé grâce à la vente d’un chalet, d’un plex ou d’une résidence secondaire sera davantage imposé. Le ministre québécois des Finances, Eric Girard, estime que cette hausse rapportera environ 3 milliards sur cinq ans.

Sommes-nous en train de surtaxer les riches ? À lire et à entendre certains commentateurs, on a l’impression que des gouvernements fort peu responsables ont décidé d’utiliser « l’argent des riches » pour obtenir le « suffrage des pauvres », en sacrifiant au passage une partie de la classe moyenne. Pourtant, le gain en capital est principalement un revenu que touchent les plus fortunés. Antoine Genest-Grégoire et Olivier Jacques, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, estiment en effet que « 82 % des gains en capital sont générés par les 10 % les plus riches et 57 % par le top 1 % ». Quant à l’idée de taxer davantage cette source de revenus, elle n’est pas neuve. Ce fut même l’une des recommandations de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, lancée par le gouvernement Couillard et présidée par le fiscaliste Luc Godbout, en 2015.

Ainsi, contrairement à l’affirmation selon laquelle les mesures annoncées par Québec et Ottawa ciblent et pénalisent la classe moyenne, celles-ci ne concernent que 40 000 personnes approximativement dans l’ensemble du Canada, soit 0,13 % des contribuables. Le gain en capital sur une résidence principale n’est pas touché, ce qui veut donc dire que seuls ceux et celles qui vendent une résidence secondaire, un chalet ou une habitation exploitée comme source de revenus seront touchés. L’argument de la classe moyenne comme « dommage collatéral » ne tient tout simplement pas la route, pas plus que celui de la surtaxation des riches.

Il relève de l’évidence que les programmes et les services sociaux fédéraux et provinciaux ont besoin d’être financés. L’ampleur et la provenance de ce financement seront toujours matière à débat. C’est pourquoi il est important de baser la réflexion, la délibération et la décision sur des chiffres fiables et sur des données probantes. Quatre décennies sous l’influence du néolibéralisme ont toutefois permis à un discours hostile à l’impôt et à l’action publique de s’imposer. Cette perspective est devenue, sans surprise, le discours économique de la droite conservatrice et affairiste, mais, de manière plus surprenante, de plusieurs libéraux et même de quelques progressistes. Il est temps de remettre les pendules à l’heure.

Les économistes Jack Mintz et Stephen Richardson ont démontré dès 1995 que l’exonération cumulative des gains en capital avait privé l’État canadien de 6 milliards de dollars entre 1985 et 1991. Durant la décennie 1990, le gain en capital imposable a été porté à 75 %, puis réduit à 50 % au tournant des années 2000. Depuis, l’imposition des gains en capital était demeurée dans l’angle mort des décideurs et le sujet était presque devenu tabou. La mesure annoncée dans le budget de 2024 est somme toute timide si l’on se reporte aux années 1990. Le Directeur parlementaire du budget fédéral a d’ailleurs estimé qu’un retour à un taux d’inclusion de 75 % générerait des revenus de 13 milliards de dollars par année, soit une somme trois fois supérieure aux recettes escomptées avec le taux de 66,7 %.

Rappelons que depuis 1980, le taux d’imposition fédéral des entreprises a fondu de 60 %. C’est pourtant par l’impôt que les programmes et services dont bénéficie la population sont principalement financés. Des programmes et des services de qualité impliquent des ponctions fiscales dans les poches de ceux qui ont les moyens. L’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital au fédéral et au provincial ramène un peu de justice fiscale dans un royaume de privilèges consentis aux plus fortunés depuis des décennies. Et c’est par la justice fiscale que l’on peut espérer ramener un peu de justice sociale dans un contexte où grandissent les inégalités.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 27 avril 2024 du journal Le Devoir.

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