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La question sociale selon Pierre Poilievre

1 mai 2024

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5min

  • DM
    Djamila Mones

Si des élections avaient eu lieu le 14 avril au Canada, 42% de l’électorat canadien aurait voté pour le Parti conservateur du Canada (PCC). D’autres sondages indiquaient des intentions de vote similaires quelques jours plus tôt. En novembre 2023, 36% des syndiqué·e·s du secteur privé et 31% de celles et ceux du secteur public auraient voté pour le PCC à cette date – les électeurs syndiqués représentant environ un quart de l’électorat au Canada.    

Pierre Poilievre se présente régulièrement comme le défenseur de la classe ouvrière face à des élites libérales déconnectées – un classique du logiciel populiste, stratégiquement mobilisé à droite.

Le chef conservateur défend-il vraiment les intérêts des travailleurs ? Une analyse de la plateforme politique du PCC, adoptée en septembre 2023, illustre les risques réels que celle-ci pose pour les intérêts socioéconomiques des travailleuses et des travailleurs canadiens et pour la liberté syndicale. Dans ce billet, nous nous attarderons sur quelques-unes des propositions au cœur de cette plateforme et qui pourraient donc être mises de l’avant dans la course électorale à venir.

Notons que les relations de travail sont principalement régies par les provinces. Cependant, le Parlement du Canada légifère sur les relations de travail dans les secteurs d’activité qui relèvent de sa compétence soit les banques, les entreprises de transport maritime et aérien, les entreprises de radiodiffusion et de télédiffusion comme Radio-Canada, la plupart des sociétés d’État fédérales ainsi que les ministères et autres organismes du gouvernement fédéral. Le secteur privé sous réglementation fédérale embauche quelque 185 500 personnes au Québec selon des estimations en date de 2017.

Le PCC face aux droits du travail

Le PCC n’est pas muet sur la question du travail. La plateforme politique du parti insiste toutefois sur la protection des libertés individuelles, ce qui fait craindre que les droits et libertés collectives en ressortent érodés. 

Premier risque : le PCC propose une adhésion facultative aux syndicats (principe 17, iv.), ce qui constitue une remise en cause directe de la formule Rand, un acquis syndical historique selon lequel le paiement d’une cotisation syndicale peut être rendu obligatoire pour tous les salarié·e·s de l’unité de négociation concernée, au bénéfice de l’association syndicale accréditée. Le programme se lit ainsi : « nous pensons que l’affiliation syndicale obligatoire et les contributions financières forcées comme condition d’emploi limitent la liberté économique des Canadiens et étouffent la croissance économique » (17, vii.). Le PCC « n’appuie pas la formation politique, culturelle ou idéologique forcée, quelle qu’elle soit, comme condition préalable à l’emploi ou à la pratique » (22).

Deuxième risque : le PCC insiste sur « l’obligation des syndicats de […] ne pas sanctionner les travailleurs qui ne « participeraient pas » (17, i. b.). Légalement, les travailleurs et les travailleuses sont déjà libres de participer ou non aux activités licites de leur syndicat. Cette formule sibylline reviendrait-elle, par exemple, à reconnaître à des employé·e·s le droit de ne pas participer aux grèves votées? Ou cela signifie-t-il que le PCC pourrait bloquer ou réviser la très récente initiative fédérale contre les briseurs de grève, le projet de loi C-58, qu’il a étonnamment soutenu jusqu’ici? C’est à suivre.

Dans son discours à la convention du PCC, en septembre 2023, Poilievre insistait plus généralement sur la liberté à donner aux travailleurs et aux travailleuses. Troisième risque et sans surprise donc, en matière d’emploi, le PCC souhaite faciliter le cumul emploi-retraite pour les plus de 65 ans par la mise en place d’incitatifs fiscaux (103). Au Québec, une idée similaire a la faveur de la CAQ. Or, selon toute vraisemblance économique, cette liberté nouvelle devrait contribuer à la paupérisation des personnes âgées comme cela se produit déjà dans l’Union européenne (UE), où des législations similaires ont été adoptées. Le taux de pauvreté des personnes retraitées y est en constante hausse (de 12% en 2014 à plus de 16% en 2022, pour toute l’UE).

La liberté économique contre la protection sociale 

Les autres propositions sociales du PCC sont davantage des coups d’épée dans l’eau. En santé, où 67% des Canadiens souhaiteraient davantage d’investissement du gouvernement fédéral, le PCC propose un « audit » de l’assurance maladie (79) et s’en tient à la « promotion du bien-être » pour améliorer la santé de la population canadienne (80). En matière de logement, le PCC se prononce « en faveur d’un allègement fiscal généralisé, de programmes de soutien au revenu et d’incitations fiscales [pour les constructeurs du secteur privé] pour rendre l’accession à la propriété et à la location plus facile et plus accessible » (105).

La question sociale selon Poilièvre semble donc d’abord se résumer à une défense classique de la liberté économique individuelle, à un soutien au secteur privé et à la libre compétition économique (41), et plus généralement à une réduction drastique des services publics. Le PCC s’en dit « convaincu » : « un dollar dans la main d’un citoyen canadien vaut mieux qu’un dollar dans la main d’une bureaucratie gouvernementale. […] la réduction des impôts et de l’ingérence de l’État dans l’économie se traduira par une augmentation du pouvoir d’achat des Canadiens […] ».  

Les libéraux étant minoritaires au Parlement, les prochaines élections fédérales peuvent techniquement avoir lieu à tout moment, au plus tard en octobre 2025. « Si la tendance se maintient », Pierre Poilievre pourrait former un gouvernement majoritaire en 2025. Au regard des enjeux profonds qui traversent le monde du travail – crise environnementale, crise de sens et pénuries de main-d’œuvre –, il s’agit d’un programme au mieux limité, au pire inquiétant, aligné sur la politique antisyndicale de son prédécesseur, Stephen Harper.

Pour gagner les prochaines élections, le PCC devra notamment convaincre le Québec. Dans sa plateforme, le parti fédéral prend soin de souligner son attachement aux deux langues officielles (144), au respect des compétences provinciales et à un fédéralisme ouvert, appuyé sur des provinces fortes. Cela suffira-t-il ?

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1 comment

  1. Bonjour, vous mentionnez à la fin de l’article :
    “Pour gagner les prochaines élections, le PCC devra notamment convaincre le Québec (…) Cela suffira -t-il?”

    Votre camp politique demonisant sans cesse le Pcc ne voit pas le constat le plus simple suivant ?
    La majorité des Canadiens (et québécois) sont tannés au bout’ des “libéraux” actuels? Que n’importe qui d’autre que des Trudeau/Freeland a la tête sera un soulagement peu importe leur direction ? Ainsi est la politique canadienne.

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