Réforme Dubé | Trois problèmes essentiels auxquels la réforme Dubé ne s’attaquera pas
18 octobre 2023
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Leçons tirées d’un entretien avec Réjean Hébert sur les services à domicile et les soins aux aînés
Le 28 septembre, j’ai eu la chance de m’entretenir avec le professeur, médecin et ancien ministre Réjean Hébert pour discuter du projet de réforme du système de santé et des services sociaux (PL15) amorcé au printemps 2023. Celui-ci entretient peu d’espoir quant à ses effets. Depuis longtemps, les gouvernements font fi de la littérature scientifique et des avis des expert·e·s en administration publique qui s’opposent aux réformes de structure centralisatrices. Celui de la CAQ ne fait pas exception. Au terme de cette rencontre, je ressors avec la conviction que trois problèmes bien connus du système public de santé ne seront pas réglés par la création de l’agence Santé Québec.
1. La croissance des coûts d’un système centré sur les soins hospitaliers et médicaux
Au Québec, la plus grande partie des dépenses publiques en santé est dirigée vers les soins hospitaliers et le salaire des médecins. Pourtant, puisque la mission du système de santé public est avant tout d’améliorer la santé des populations, les stratégies visant à réduire la demande pour les soins médicaux et hospitaliers sont perçues comme les plus efficaces pour diminuer les dépenses globales. La prévention et l’accompagnement qui passent par des soins et services de première ligne étant connus pour éviter la dégradation de l’état de santé des individus, les soins primaires devraient être facilement accessibles afin de minimiser les coûts associés aux visites à l’hôpital.
En ce sens, Réjean Hébert s’inquiète que la réforme nuise à l’intégration des services en les ramenant tous sous une commune gouverne. Surtout, sa création annonce la réduction des frontières organisationnelles entre les établissements de première ligne (comme les CLSC) et les hôpitaux. Bien que cela pourrait paraître une bonne nouvelle quant à « l’intégration » des missions de ces établissements, la réalité organisationnelle s’éloigne de cette vision intégrée. En effet, dans les dernières années, le manque d’attention accordée aux services sociaux a facilité le drainage des ressources vers les hôpitaux. La réforme actuelle pourrait reproduire cette erreur en n’imposant pas une vision claire du rôle que seraient appelés à jouer les services sociaux pour le système de la santé et de la responsabilité de l’Agence à cet égard. À cet égard, l’Alberta s’offre en contre-modèle. Alors qu’elle avait créé une agence pour gérer les soins de santé, la province opère désormais un virage, car cette structure centralisée a renforcé le recours au très coûteux système hospitalier.
Bien que dominants, l’hôpital et le médecin ne sont pas les seuls obstacles dans la réalisation d’un système de santé orienté vers l’amélioration efficace de la santé populationnelle : l’institutionnalisation de la vie quotidienne l’est aussi. CHSLD ou Maison des aînés, le problème est le même. Le gouvernement dépense des fortunes pour construire des bâtiments dans lesquels l’ensemble de la vie quotidienne des personnes âgées est prise en charge par l’État. À l’opposé, le modèle des services et des soins à domicile vise à maximiser le temps passé à la maison pour les personnes encore autonomes. Ce modèle coûte moins cher et, selon les plus récents rapports de la Commission à la santé et au Bien-être (CSBS), représente le premier choix des personnes âgées. Or, les admissions de celles-ci en CHSLD augmentent sans cesse parce qu’un fragment seulement des besoins sont couverts (voir graphique 1). Les sommes récemment injectées par le gouvernement Legault se sont révélées largement insuffisantes pour combler le retard acquis par les nombreuses années à se concentrer sur les solutions institutionnelles et hospitalières.
2. Le manque de temps auprès des bénéficiaires
Dans le secteur des soins à domicile, seulement 30% du temps du personnel soignant serait passé auprès des patient·e·s. Une majeure partie du travail est dédié aux déplacements et au travail administratif. La réforme pourrait amplifier ces problèmes avec la création d’une structure hypercentralisée distribuant des services sur d’immenses territoires.
Le modèle hiérarchique préconisé par la réforme repose sur une longue chaîne de reddition de comptes. Contrairement à une usine de meubles où le résultat (output) du travail est facilement quantifiable, le travail de soins est d’un autre ordre. La quantification suppose dans ce domaine une multiplication des outils de surveillance du travail, ce qui génère aussi du travail. Dans les dernières années, l’adoption d’une philosophie de la nouvelle gestion publique a amplifié le travail administratif. La présente réforme n’y déroge pas. À l’opposé, des modèles de gestion qui reposent sur des petites structures évitent de faire crouler les travailleurs et les travailleuses sous la paperasse.
La création de l’agence Santé Québec s’accompagnera aussi de celle d’établissements territoriaux associée à chaque région sociosanitaire. L’étendue du territoire couvert risque donc d’être similaire à celle des CI(U)SSS actuels qui nuit pourtant à la distribution des services. Les travailleurs et les travailleuses sont poussé·e·s à parcourir de grandes distances pour rendre visite à leurs patient·e·s, nuisant à l’efficacité des services. Des établissements comme les CLSC, lorsqu’ils ont le pouvoir et les ressources pour organiser les services, profitent au contraire de la proximité pour maximiser le temps auprès des patient·e·s.
3. Le recours démesuré aux agences de placement
Après le scandale des agences de placement qui ont fait exploser les coûts de la main-d’œuvre et ont favorisé la propagation de la COVID-19 durant la pandémie, ma collègue Anne Plourde avait entrepris d’examiner l’ampleur de leur usage par les établissements du Québec. Elle avait alors constaté que le secteur des services à domicile était celui qui avait le plus recours aux agences. 27,9% des heures travaillées y étaient assurées par la main-d’œuvre indépendante. Ces taux sont encore plus élevés à Montréal, où les CI(U)SSS y recourent pour effectuer presque 50% du travail.
Les conséquences ne sont pas seulement palpables pour le système lui-même, mais aussi pour les personnes qui reçoivent ce type de services. Pour les bénéficiaires, le roulement de personnel implique d’être toujours en contact avec de nouvelles personnes. Chaque fois, ils et elles doivent réexpliquer les tâches et se trouvent privé·e·s de développer une relation de confiance avec des personnes qui viennent chez elles.
Pour l’instant, il est difficile de s’imaginer comment le système public va réussir à se passer des agences, car pour ce faire, il devrait devenir un employeur de choix. Or, les réformes de structure des dernières années ont miné la capacité du personnel administratif et clinique à se consacrer au travail de soins. Sur la base de son expérience, Réjean Hébert estime que cette charge induit un coût de renonciation (ou coût d’opportunité) qui en raison du temps dédié à réajuster la structure n’est pas passé à offrir ou améliorer les services. Dans un contexte où les effectifs sont restreints au point où la surcharge de travail menace la rétention de la main-d’œuvre, imposer une réforme structurelle s’avère très risqué.
Les expériences du Québec, celles de l’Alberta de même que l’avis des expert·e·s préoccupé·e·s par les missions populationnelles du système de santé et de services sociaux permettent de penser que la création d’une agence n’est définitivement pas un moyen d’entamer un virage vers les soins à domicile.
3 comments
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Très bonne lecture des enjeux qui, sans aucun doute, accompagneront la création de cette Agence centralisée. Malgré leurs défauts (et le poids des contrôles du MSSS), les anciennes agences régionales de santé disposaient d’une certaine capacité à réallouer des fonds localement, ce qui leur donnait une souplesse – limitée mais réelle – pour répondre aux imprévus ou développer des solutions enracinées localement (par exemple, le soutien communautaire en logement social a pu se développer à Montréal dans ce contexte, hors ou en sus du budget du MSSS). Cette marge de manœuvre s’est évaporée avec la centralisation de la réforme Barrette, et ne réapparaîtra pas avec la proposition du ministre Dubé.
J aImerais que vous étudiez l impact de la centralisation des listes d ancienneté sur la decouverture de services dans les petits établissements et les régions éloignées. On perd de l expertise. On est toujours en train de former de nouveaux employés qui retournent travailler dans les villes centres.
Excellent article de Mme Lavoie Moore, je partage totalement l’analyse de M. Hébert, à titre d’organisateur communautaire à la retraite. J’ai vécu la première réforme des CSSS. le processus technocratique et la crise de sens du travail en santé, services sociaux et communautaire étaient déjà en développement mais avec la dernière réforme et la prochaine on s’en va vers une crise majeure de notre système de santé c’est révoltant, une perte majeure pour la population du Québec.