Le Fraser et le prix des médicaments
28 septembre 2011
Lundi, l’institut Fraser publiait une étude qui affirme que le coût des médicaments n’est pas aussi déterminant que certains l’affirment pour expliquer l’évolution des dépenses de santé. Comme j’ai participé, avec mon collègue Marc-André Gagnon, à la rédaction d’un rapport publié l’an dernier qui affirmait qu’on pouvait économiser jusqu’à 10 G$ en agissant sur le coût des médicaments, j’ai jeté un œil aux affirmations du Fraser.
D’abord, certains choix méthodologiques doivent être questionnés.
Les auteurs comparent le coût des « hôpitaux et autres institutions » à celui des « médicaments prescrits » et concluent que le coût des hôpitaux est bien plus préoccupant que celui des médicaments. Pour soutenir leur affirmation, ils nous présentent ce graphique :
Un premier problème avec ce graphique, c’est qu’on nous présente l’évolution des dépenses en dollars courants. En effet, plutôt que de neutraliser l’effet de l’inflation dans l’évolution des coûts – ce que permettrait une conversion toute simple en dollars constants – les auteurs amplifient l’effet d’augmentation des dépenses en hôpitaux. Ceci revient à dire que l’on pouvait s’acheter un hot dog pour 5 cents en 1960 sans préciser quel était le niveau des salaires à cette époque.
Deuxième problème : même si l’institut Fraser identifie les Tendances de dépenses nationales en santé de l’Institut canadien d’information en santé (ICIS, la référence en matière de données sur la santé) comme la source du graphique, deux modifications majeures ont été apportées. D’abord, on a ajouté la catégorie « autres institutions » (incluant des nursing homes et des residential care facilities) à la catégorie hôpitaux, ce qui fait croître considérablement le total des dépenses dans ce regroupement de catégories. Et pour les médicaments, on fait l’inverse, c’est-à-dire qu’on ne conserve que la partie « médicaments prescrits » et l’on soustrait du total de cette catégorie les médicaments non-prescrits.
Voici le tableau de l’ICIS, avant les adaptations du Fraser :
On voit cette fois que les dépenses en médicaments ont augmenté de façon bien plus importante que ce que laisse penser le graphique du Fraser.
Et si, pour bien comprendre la place qu’occupe le coût des hôpitaux dans les dépenses de santé, on calculait la part des budgets publics qui leurs sont consacrés, quel serait le résultat ? Comme le montre cet autre tableau de l’ICIS, cette part est en chute libre :
Le graphique mis de l’avant par le Fraser nous portait pourtant à penser l’inverse.
Si l’on fait maintenant le même exercice avec la part des dépenses en médicaments sur l’ensemble des dépenses en santé, elle passe, de 1975 à 2010, de 1,7% à 9,0%. Le Fraser nous répondra que ces dépenses sont efficaces pour guérir les malades et nécessaires pour stimuler l’innovation. Pourtant, les sommes colossales que siphonnent les compagnies pharmaceutiques sont destinées à bien d’autres fins. Selon une étude de Gagnon et Lexchin, les compagnies pharmaceutiques dépensent deux fois plus en marketing qu’en R&D.
Une simple première lecture de ce rapport soulève beaucoup de questions au plan méthodologique. Pourquoi l’institut Fraser tient-il à ce point à gonfler les dépenses dans les hôpitaux et à amoindrir celles en médicaments?