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Réforme Dubé: portrait-robot de l’agence Santé Québec

14 juin 2023

  • Anne Plourde

L’IRIS publie aujourd’hui un organigramme offrant une représentation visuelle de ce que sera l’organisation du réseau de la santé et des services sociaux si le projet de loi 15 « visant à rendre le système de santé plus efficace » est adopté tel quel. Ce billet présente les principaux constats qui se dégagent de l’exercice.

Lourdeur et complexité

L’organigramme illustre d’abord la très grande complexité et l’extrême lourdeur de la structure créée par le projet de loi 15. La réforme intègre dans une seule société d’État, l’agence Santé Québec, plus de 325 000 employé·e·s et 1500 installations (CLSC, CHSLD, hôpitaux, etc.). Par comparaison, Hydro-Québec, qui est actuellement la plus grosse société d’État du Québec, emploie 22 000 personnes. Dans le secteur privé, l’entreprise comptant le plus grand nombre de salarié·e·s au Québec est Metro, avec 60 000 employé·e·s sur le territoire de la province. 

L’organigramme se décline en deux volets. Le premier (schéma 1) représente une version simplifiée de l’agence Santé Québec, qui fusionne les 30 méga-établissements actuels du réseau (les CISSS, les CIUSSS et les centres hospitaliers universitaires), au sein desquels sont regroupés les 1500 points de services. Ces établissements, que le projet de loi dépouille de leur conseil d’administration et qui deviennent de simples unités administratives de Santé Québec, sont désormais désignés comme des établissements « territoriaux » ou « non territoriaux » de la société d’État. 

Schéma 1

Le second volet de l’organigramme (schéma 2) présente une image plus détaillée d’un établissement territorial et de ses liens hiérarchiques avec l’agence Santé Québec d’une part et les installations (ou points de services) d’autre part. Afin que le schéma soit lisible, il se limite à exposer les liens avec une seule installation.

Schéma 2

Précisons cependant que la structure de Santé Québec est si lourde qu’il a été impossible de la représenter dans tous ses détails, et encore moins en une seule image. En effet, le logiciel utilisé pour construire l’organigramme n’a pas pu supporter la quantité d’éléments et de liens nécessaires pour rendre compte de l’agence dans sa totalité. Ce logiciel a pourtant permis par le passé de représenter des structures de propriété ultra-complexes de grandes multinationales.  

Centralisation, concentration du pouvoir et inefficacité

Si le premier schéma illustre bien la lourdeur de l’organisation créée par le projet de loi 15, il montre aussi la quantité de pouvoir concentrée entre les mains d’une seule personne: le PDG de Santé Québec. La volonté du ministre Dubé de confier à un « super-gestionnaire » la direction de l’ensemble des services de santé et des services sociaux de la province repose sur l’illusion qu’il est possible, et même efficace, de planifier et de gérer un système aussi complexe que le réseau de la santé de manière ultra-centralisée.

Or, ce préjugé ne s’appuie sur aucune donnée probante. Au contraire, les exemples historiques de planification centralisée et autoritaire de systèmes complexes ayant abouti à des résultats désastreux sont nombreux. On pense bien sûr aux initiatives de planification bureaucratique de l’économie tentées par différents pays au cours du XXe siècle, et c’est pourquoi les penseurs actuels de l’économie planifiée proposent pour la plupart des modèles démocratiques et décentralisés.

La leçon s’applique également aux services publics. En effet, la littérature internationale en administration publique démontre que les institutions publiques qui offrent les services de meilleure qualité et qui répondent le mieux aux besoins de la population sont celles qui s’appuient sur une structure décentralisée et sur une gestion démocratique et locale accordant un pouvoir réel aux professionnel·le·s et aux citoyen·ne·s sur l’organisation et la production des services dispensés. Autrement dit, les services publics les plus efficaces sont ceux qui rapprochent les lieux de pouvoir des lieux de dispensation des services. 

Or, le schéma 2, qui permet de voir plus clairement la distribution du pouvoir décisionnel au sein du réseau prévue par le projet de loi 15, montre clairement que ce dernier est entièrement concentré au sommet de la pyramide, au niveau de la structure gestionnaire et administrative. Les rares instances offrant une représentation au personnel du réseau ou aux citoyen·ne·s sont des « conseils » n’ayant qu’un pouvoir de recommandation non contraignant. 

On constate également que, malgré le « principe de subsidiarité » auquel adhère formellement le projet de loi (article 29), très peu de pouvoir est dans les faits délégué au niveau des lieux physiques de dispensation des services (les installations). De plus, ceux-ci sont soumis à une structure bureaucratique comportant au moins six niveaux hiérarchiques qui aura pour effet d’éloigner encore plus les super-gestionnaires à la tête du réseau des réalités et problèmes vécus au quotidien sur le terrain par les employé·e·s ainsi que par les usagères et usagers des services.

Avec sa réforme, le ministre Dubé tente d’améliorer l’efficacité du réseau. On voit mal comment il y parviendra en créant une structure extrêmement lourde, complexe, centralisée, et probablement ingérable.

Une réalisation du LaRISSS