Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Participant·e·s de téléréalité de tous les pays, unissez-vous!

31 octobre 2022

Lecture

5min

  • Colin Pratte

La semaine dernière, la vacuité de l’émission de téléréalité Occupation double (ci-après « OD ») s’est tout à coup remplie d’enjeux sociaux brûlants articulés autour de la question de l’intimidation. Sur la sellette en raison des départs de la plupart des commanditaires de l’émission, les producteurs d’OD ont alors cadré le débat de telle sorte que le problème en cause soit les comportements individuels de certains de ces candidats, éludant ainsi les éléments d’ordre structurels sous-jacents à ce qui apparaît à nos écrans. Ce billet est une tentative de recadrage, afin de discuter de la saga OD sous un angle juridique, économique et politique.

Un statut de salarié pour les participant·e·s?

Face aux mésaventures qu’ont vécues les participant·e·s d’OD, posons-nous la question: s’agit-il de travailleuses et de travailleurs au sens de la loi? Y a-t-il une différence entre les salarié·e·s derrière la caméra qui captent le contenu et en font le montage, et les participant·e·s devant la caméra? En France, cette question a fait l’objet d’une contestation judiciaire entre 2009 et 2013 dans le cadre de la téléréalité « l’Île de la tentation » et depuis, la participation à de telles émissions est régie par un contrat de travail en bonne et due forme, qui a l’avantage de prévoir une rémunération, en plus des protections usuelles

Au Québec, une application de la Loi sur les normes du travail obligerait la production d’OD à offrir un lieu de travail sécuritaire et exempt de diverses formes de harcèlement. Cet enchâssement juridique éviterait que l’employeur, dans ce cas-ci les Productions J, ne réagisse seulement lorsque son modèle d’affaires basé sur la participation financière de commanditaires est sur le point de s’écrouler. Le cas échéant, il serait intéressant de voir si les multiples « twists » du tournage, dont l’objectif est de créer un climat instable, propice aux crises et à des formes de harcèlement, seraient jugées incompatibles avec le caractère sécuritaire que doit garantir tout lieu de travail. 

Bien entendu, cette reconnaissance du statut de salarié attenterait au modèle d’affaires de la téléréalité, dont la rentabilité repose entre autres sur des coûts de production bas. Selon différentes analyses portant sur le phénomène aux États-Unis, une heure de téléréalité coûtait entre 350 000$ et 500 000$ aux studios de production, alors que le coût d’une heure de fiction varie entre 1 million de dollars et 2,5 millions de dollars, la raison principale étant le faible coût de la main-d’oeuvre et l’absence de script. 

En entrevue à Tout le monde en parle, la productrice d’OD Julie Snyder a affirmé que cette saga aura « marqué l’histoire contemporaine des médias » et que les producteurs de téléréalité prendront note des réformes à apporter. La question de la reconnaissance du statut de salarié et de l’application de la Loi sur les normes du travail à l’ensemble des protagonistes des plateaux de téléréalité n’a sans surprise pas été évoquée parmi les correctifs à apporter. Pourtant, en plus des formations et services psychologiques offerts aux candidat·e·s, c’est de services-conseils juridiques que les participant·e·s devraient pouvoir bénéficier afin de permettre la négociation d’un contrat de travail juste et équitable.

À cet effet, les derniers jours ont donné lieu à un rare spectacle de division au sein du milieu des affaires, les entreprises commanditaires condamnant l’intimidation d’un côté, et l’entreprise productrice d’OD faisant tout pour empêcher leur départ de l’autre. Or, ce schisme n’est qu’apparence et trouve réconciliation dans une solidarité narrative plus profonde: nous ne verrons jamais une entreprise ouvertement anti-syndicale comme Couche-Tard, commanditaire sortante d’OD, discuter des causes sous-jacentes à l’intimidation décriée à OD sous l’angle du droit du travail. S’il fallait que Couche-Tard milite pour une plus grande reconnaissance des droits et protections des travailleurs et des travailleuses pour garantir un lieu de travail convenable, elle scierait la branche sur laquelle repose son modèle d’affaires. 

Réforme ou révolution: renouer avec une critique de la publicité

La saga OD soulève également la question de son existence: faut-il réformer ou rendre révolu ce type d’émission? Rappelons que l’émergence de ces contenus est due à l’importance croissante de la publicité dans les économies capitalistes à partir de la seconde moitié du 20e siècle, où le principal défi des industries s’est déplacé de la confection des marchandises à leur écoulement sur les marchés. Ainsi, les commanditaires et publicitaires qui rendent possibles les téléréalités usent de ces divertissements comme autant d’occasions de mettre en scène leurs produits, qui sont appelés à se démoder dès la campagne publicitaire suivante. Ces dépenses, que d’aucuns qualifieraient de gaspillage, visent une expansion de la production et de la consommation, ce qu’on comprend de plus en plus être incompatible avec un processus sérieux de transition écologique. D’ailleurs, l’économiste québécois François Delorme, qui a déjà collaboré au GIEC, appelait récemment à interdire la publicité pour freiner la surconsommation. 

En somme, le titre-boutade de ce texte, tiré de la conclusion du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, renvoie à la tâche collective que les multiples crises du XXIe siècle nous imposent: repenser radicalement le fonctionnement de notre économie, de manière à rapatrier dans le giron public et démocratique les décisions relatives aux investissements financiers, afin que ceux-ci puissent servir d’autres objectifs que les impératifs du rendement monétaire et de la croissance économique.

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

1 comment

  1. Mais qui écoute encore des émissions de télé-réalité?

    Les victimes de l’ignorance institutionnalisée!

    Malheureusement, c’est la très vaste majorité d’entre-nous.
    L’ignorance a été instrumentalisées depuis plus de 70 ans pour nous déposséder. À date, ça s’enligne vers un succès mondial!

    Quelle honte!

    L’oligarchie ploutocratique semble être sur le point de gagner la propriété de la planète entière… Et de tout ce qui y vie!

Les commentaires sont désactivés