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Les paradis fiscaux toujours aussi populaires au Canada

9 septembre 2021

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5min


Bien qu’ignorée jusqu’à présent des débats de la campagne électorale fédérale, la question des paradis fiscaux demeure d’une importance névralgique : il en va du financement adéquat des services publics, mais aussi de l’efficacité d’imposer équitablement les contribuables. Dans ce billet, nous proposons de documenter l’ampleur à l’échelle canadienne du recours aux paradis fiscaux afin de susciter le débat sur cet enjeu.

D’entrée de jeu, il faut reconnaître qu’il est difficile de percer l’opacité des paradis fiscaux et de déterminer l’ampleur des sommes qui s’y trouvent. Des grosses entreprises ou individus fortunés canadiens y déclarent leurs revenus précisément parce que ces juridictions leur permettent de se soustraire efficacement à leurs obligations fiscales d’ici tout en restant dans une légalité relative et questionnable. Il existe toutefois plusieurs méthodes permettant de dresser des estimations (dont celle élaborée par l’Agence du revenu du Canada) : une d’entre elles consiste à analyser les investissements directs étrangers (IDE) canadiens.

Un IDE est un investissement réalisé par une entreprise (ou une fiducie) visant à acquérir ou maintenir un intérêt durable dans une entité domiciliée dans un autre pays, que ce soit une société privée distincte ou la filiale d’un même groupe transnational. Mentionnons à cet égard que les filiales d’un même groupe transnational sont, d’un point de vue fiscal, des entités autonomes : transférer des capitaux d’une société à une autre relevant du même groupe transnational revient en ce sens à réaliser un investissement direct à l’étranger.

Cependant, le concept d’IDE reste abstrait, car il regroupe n’importe quel investissement réalisé par une entreprise visant à prendre le contrôle d’une entreprise à l’étranger. Il y a pourtant une différence significative entre transférer du capital à une filiale située à l’étranger en soutien à des opérations de production réelles et transférer une somme similaire dans une entreprise anonyme de la Barbade dont la seule activité dans ce pays se résume à y détenir une case postale. Bien qu’il s’agisse dans les deux cas d’un IDE, le premier est réalisé dans l’économie « réelle », tandis que le second n’est investi dans… rien, ou à peu près. Ainsi, malgré l’importance des sommes qui y sont investies, les Bermudes ou les Luxembourg ne sont pas, aux dernières nouvelles, des plaques tournantes de l’économie productive canadienne. Ce genre « d’investissement » ne sert principalement que de paravent pour dissimuler de l’argent au fisc du pays d’origine. En ce sens, l’analyse des IDE réalisés dans des paradis fiscaux illustre indirectement l’ampleur des sommes qui échappent à l’impôt.

Le graphique qui suit illustre sur une base 100 l’évolution des IDE canadiens dans les dix pays en recevant le plus, de 2010 à 2020.

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On remarque que les IDE canadiens réalisés dans ces dix pays ont considérablement augmenté dans la dernière décennie, soit de 143,2%. Force est toutefois de constater que les augmentations les plus importantes se retrouvent presque toutes dans des paradis fiscaux notoires, soit les Bahamas (+39,2%), la Barbade (-15,4%, seul pays où les IDE ont diminué durant cette période), les Bermudes (+468,8%), les îles Caïmans (+85,4%), le Luxembourg (+654,8%) et les Pays-Bas (+359,4%). Les autres pays, que nous qualifierons ici de « réguliers », affichent des croissances moins fortes : Australie (+114,3%), États-Unis (+166,2%), Mexique (+488,0%) et Royaume-Uni (+39,1%).

Bien entendu, le volume des investissements dans les pays qui ne sont pas considérés comme des paradis fiscaux reste considérablement plus élevé que celui dans les pays qui le sont. En 2010, les dix paradis fiscaux présentés plus haut ont reçu le quart (25,4%) des IDE canadiens. Après avoir sensiblement augmenté au cours de la décennie qui a suivi, cette proportion s’élevait à 27,0% en 2020.

Qui plus est, la croissance des IDE canadiens dans les paradis fiscaux est plus rapide que dans les autres pays, ainsi qu’en atteste le graphique suivant.

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Entre 2010 et 2020, pour ces mêmes dix pays, la croissance des IDE canadiens dans les six paradis fiscaux (+158,6%) est de 20,7% plus élevée que celle des IDE dans les quatre autres pays (+137,9%).

Ce rapide tour d’horizon illustre que le recours aux paradis fiscaux ne s’essouffle pas, bien au contraire. Face à cette tendance croissante, on peut se demander si celles et ceux qui aspirent à former un nouveau gouvernement au niveau fédéral jugent acceptable et viable un régime fiscal encourageant de telles largesses. De même, alors que certains s’interrogent sur la capacité de payer les dépenses engendrées par la pandémie, il est étonnant que la question du recours aux paradis fiscaux ne soit pas davantage débattue dans le cadre de la présente campagne. Car il faut bien rappeler que recourir aux paradis fiscaux pour « optimiser » sa fiscalité constitue un vol déguisé. L’après-pandémie apparaît ainsi comme une belle occasion de fermer définitivement les échappatoires fiscales dont profitent de nombreuses entreprises au Canada pour mieux investir les sommes astronomiques qu’elles permettent de détourner dans les services publics.

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