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Voici pourquoi la plupart des études d’impacts du salaire minimum sont biaisées

13 août 2020

  • Raphaël Langevin

Beaucoup d’encre a coulé sur les questions de salaire minimum dans les dernières décennies, notamment en raison des mouvements états-uniens et canadiens réclamant des hausses substantielles de salaire minimum à court terme. Plusieurs économistes et analystes en politiques publiques en ont profité pour ressortir la fameuse « cassette » des pertes d’emploi : les fortes hausses de salaire minimum peuvent faire plus de mal que de bien si les pertes d’emploi qu’elles engendrent sont trop élevées. Mais qu’en est-il réellement? Dans ce billet, je présente sommairement les résultats d’une toute nouvelle étude, réalisée dans le cadre de ma scolarité doctorale, qui démontre que la grande majorité des études sur le salaire minimum au Canada (et aux États-Unis dans une moindre mesure) ont fort probablement surestimé les pertes d’emploi subséquemment engendrées par une telle politique, le tout au détriment des faibles salarié-e-s

La pandémie de la COVID-19 et l’instauration de la prestation canadienne d’urgence (PCU) par le gouvernement fédéral en mars 2020 ont contribué à un regain d’intérêt envers les questions de salaire minimum et de conditions de travail en général. En effet, plusieurs entrepreneurs, entrepreneuses et propriétaires d’entreprises déploraient récemment le fait que la PCU serait en fait un frein à la reprise économique, car n’incitant pas les plus faibles salarié-es à retourner au travail. Or, si le montant de 2000 $ par mois offert par la PCU semble élevé pour certains, cela reste moindre que le revenu généré par le salaire minimum dans 6 provinces canadiennes sur 10 pour les travailleurs et travailleuses à temps plein (40 heures/sem.), dont le Québec. Comme nous en avons l’habitude à l’IRIS, les questions de salaire minimum se butent toujours aux propos de certains-es pseudo-experts-es sur cet enjeu, affirmant entre autres qu’une hausse importante du salaire minimum au Québec (et ailleurs au Canada) aurait forcément des conséquences dramatiques sur l’emploi, l’inflation et la survie des PME.*

Pourtant, dans une étude réalisée sur le sujet en 2016, l’IRIS a démontré que, s’il devait y avoir des pertes d’emploi, des hausses des prix ou encore des fermetures de PME en réponse à une telle politique, les perspectives catastrophiques évoquées par certains-es sont clairement exagérées. Comble de malheur : il s’avère que les résultats de l’étude de l’IRIS sont exagérés aussi (à la négative), tout comme c’est probablement le cas pour la grande majorité des études sur le salaire minimum réalisées dans les dernières décennies. Comment cela se fait-il?

Dans la plupart des études d’impacts du salaire minimum, les économistes et autres analystes utilisent généralement les valeurs historiques du salaire minimum par province au pays (ou par États aux États-Unis). Les chercheurs et chercheuses mettent ensuite ces valeurs en relation avec les taux d’emploi, l’inflation ou encore les taux de survie/fermeture des PME pour analyser les répercussions du salaire minimum sur une de ces trois variables. Toute une série de méthodes statistiques est ensuite employée afin d’isoler l’impact exclusif du salaire minimum sur la variable macroéconomique considérée. L’une des méthodes traditionnellement employées est celle de la régression linéaire multivariée, soit une simple mise en relation de tous les éléments pouvant avoir un impact sur la variable choisie. Par exemple, lorsque l’on désire isoler l’impact du salaire minimum sur l’emploi, il est généralement recommandé d’ajouter dans la régression (en plus du salaire minimum) des variables telles que la croissance économique (afin de « contrôler » pour l’impact des crises économiques sur l’emploi) ou encore le salaire moyen par province (afin de « contrôler » pour l’impact des mouvements globaux dans les salaires).

Or, pour que les résultats produits par de telles analyses soient rigoureux et crédibles, il faut que plusieurs conditions particulières soient remplies. Une de ces conditions est celle de la stationnarité des variables. Autrement dit, afin de produire des résultats cohérents, il est impératif de s’assurer que toutes les variables introduites dans un modèle de régression multivariée soient moindrement stables dans le temps (c.-à-d. qu’elles « bougent » autour d’une même moyenne). Si une seule des multiples variables employées dans la régression n’est pas stationnaire, alors les résultats du modèle ne doivent pas être pris au sérieux.** De plus, lorsque la variable que l’on désire analyser (emploi, inflation, etc.) n’est pas stationnaire elle non plus, un phénomène particulier survient : le modèle de régression crée de toute pièce des corrélations (parfois fortes) entre les variables non stationnaires même si ces variables n’ont aucun lien réel entre elles. On appelle ce phénomène celui des « régressions fallacieuses » (spurious regressions).

Alors, les études d’impact sur le salaire minimum sont-elles victimes d’une telle tragédie? Une récente étude sur le sujet tend à montrer que c’est le cas pour les études canadiennes. En effet, tout porte à croire que les salaires minimums réels provinciaux (c.-à-d. qui prennent en compte l’inflation) et les taux d’emploi par province sont en fait des variables non stationnaires. Il est alors tout à fait probable et légitime de penser que des régressions fallacieuses aient contribué à identifier de fausses relations de causalité entre le salaire minimum et l’emploi (et les prix, et les PME, etc.), et ce autant au Canada qu’aux États-Unis.

Certain-e-s se demanderont peut-être s’il est possible de surmonter cet épineux problème. Heureusement, oui. Une méthode excessivement simple permettant d’éliminer complètement le problème des régressions fallacieuses est d’utiliser les variations temporelles des variables (c.-à-d. les « premières différences ») au lieu d’employer directement leur « niveau » dans les régressions. Est-ce que cela produit des résultats différents? La réponse est encore oui. En effet, alors que la méthode traditionnelle identifie des pertes d’emploi significatives chez les jeunes femmes de 15-19 ans en lien avec les hausses de salaire minimum au Canada, l’utilisation des premières différences démontre qu’il n’y a aucun impact négatif significatif à long terme du salaire minimum sur l’emploi au pays entre 1990 et 2018. Une étude réalisée aux États-Unis en 2017 et employant la méthode des « premières différences » (parmi plusieurs autres) semble confirmer elle aussi une telle absence d’impacts négatifs du salaire minimum sur l’emploi entre 1979 et 2014 chez nos voisins du sud.

Bien que de telles analyses restent à faire au pays, il est fort probable que le problème des régressions fallacieuses ait aussi « contaminé » les résultats des études d’impacts du salaire minimum sur l’inflation, le taux de survie des PME ou encore les taux de pauvreté dans les différentes provinces canadiennes. En conséquence, lorsqu’on vous dira qu’une hausse du salaire minimum sera forcément néfaste pour l’économie québécoise (ou canadienne), vous pourrez alors répondre à cette personne que ses estimations statistiques, tout comme son discours, sont probablement, voire certainement, fallacieuses.

* Cette affirmation est d’autant plus ironique en ces temps de pandémie, car une hausse du salaire minimum aurait davantage tendance à ramener des gens sur le marché de l’emploi plutôt que de les contraindre à la PCU.

** Tiré de: Verbeek (2012), A Guide to Modern Econometrics, Fourth edition, chapitre 9.2.1: « Estimation results like this should not be taken seriously ».

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