Penser l’après
15 avril 2020
L’évolution de la crise pendant les dernières semaines et l’escalade de mesures qui s’en est suivie a mis les préoccupations sanitaires immédiates au premier plan. Maintenant qu’une bonne partie de l’économie est en pause et que nombre de personnes sont confinées à la maison, il se dégage un espace pour réfléchir aux conséquences plus larges de la crise et à la suite des choses. Penser un après, en quelque sorte, mais un après qui sera tributaire de ce qu’on fera à courte échéance.
On nous dit ces temps-ci que l’économie allait bien avant cette crise et donc qu’il suffit de faire le dos rond le temps qu’elle dure, afin de pouvoir retrouver la prospérité. Un mauvais moment à passer, mais causé par un choc externe qui n’atteint les structures économiques qui, elles, seraient solides. Pourtant, la crise actuelle a surtout mis en lumière toute la fragilité sous-jacente de notre économie, et ce, sur au moins trois plans distincts.
Premièrement, une bonne partie de l’activité économique était supportée par un fort endettement des ménages et des entreprises. Malgré de très légères baisses dans les derniers trimestres, l’endettement des ménages canadiens demeurait élevé à 176% de leur revenu annuel. Comme le montre la crise actuelle, nombre de travailleuses et travailleurs vivent d’une paie à l’autre. Du côté des entreprises (hors secteur financier) : leur dette totale représentait 118% du PIB, soit une augmentation de 30% depuis la précédente crise. Cette absence de coussin fait en sorte que le confinement forcé n’est pas facile à supporter malgré les programmes gouvernementaux qui se multiplient. En fait, la multiplication de ces programmes montre justement que le système de protection sociale n’est pas adapté à la diversité actuelle des formes d’emploi et de travail.
Deuxièmement, le degré d’intégration de notre économie dans la mondialisation la rend dépendante d’un flux constant d’approvisionnement extérieur. Cet approvisionnement n’est pas remis en question pour l’instant, mais qu’arrivera-t-il si la crise dure ici ou ailleurs ? Jusqu’à quel point souhaite-t-on que la vitalité de l’économie du Québec soit tributaire de l’efficacité des politiques de gestion de crise dans un endroit comme les États-Unis, par exemple ?
Troisièmement, l’action massive de l’État montre bien que le système économique en lui-même ne peut pas accuser le genre de choc que représente la pandémie… ou même une crise financière. Même si la présente crise est plus grave que la dernière crise financière, il ne faut pas oublier que celle-ci avait exigé une intervention importante des gouvernements, notamment aux États-Unis et en Europe. En fait, une telle intervention n’a rien d’exceptionnel ; l’État est appelé à la rescousse à chaque fois que le système se grippe, devant alors bricoler une série de mesure afin de faire repartir la machine.
Favoriser la résilience
Dans la situation actuelle, le gouvernement se doit certes d’agir promptement et d’y mettre les moyens nécessaires. Cependant, pourquoi utiliser ces ressources pour revenir à une situation qui était déjà problématique avant le début de la pandémie ? Pourquoi ne pas plutôt les orienter de manière à bâtir une économie résiliente, mieux à même d’absorber les chocs dans le futur et d’effectuer la nécessaire transition écologique dont l’échéance est sans cesse repoussée ?
Il y a plusieurs pistes qui pourraient permettre d’aller dans ce sens, notamment le fait de favoriser une structure de production et de consommation circulaire avec un fort ancrage local. Il ne s’agit pas de viser l’autarcie, bien entendu, mais plutôt de valoriser les ressources d’une région donnée et, dans la mesure du possible, de faire avec celles-ci. Les entreprises coopératives et d’économie solidaire sont particulièrement bien placées pour mettre ce genre de processus en place.
Par ailleurs, une partie du problème en système capitaliste vient de la nature décentralisée de l’activité économique. Chaque entreprise prend ses décisions de manière indépendante, que ce soit pour la production ou le crédit, par exemple. Ça permet au système une certaine flexibilité, mais en même temps cela génère des risques systémiques. Comme la fortune de chaque entreprise dépend de ce que feront les autres, l’absence de coordination entre elles cause d’importants risques. La compétition qu’elles se mènent et le secret dont elles couvrent leurs intentions peuvent provoquer des effets domino qui nuisent au système dans son ensemble.
L’action de l’État, puisqu’elle peut toucher toutes ces entreprises, permet de pallier en partie ce problème. Cependant, une telle coordination de l’activité économique est difficile si on ne la met en place qu’en temps de crise. L’État est alors pris pour supporter une structure qui s’est bâtie de manière indépendante et qui est possiblement difficile à soutenir à terme. Une intervention faite de manière posée et réfléchie faite en temps plus « normal » permettrait d’installer de tels processus de coordination, qui pourraient ensuite servir à maintenir l’économie à flot en temps de crise et en assurer la pérennité.
Ces deux pistes peuvent être mises en œuvre de concert. On peut imaginer des structures locales dotées d’un fort ancrage démocratique dans la communauté, avec des processus de coordination de la part de l’État et un cadre macroéconomique qui en supporte l’existence. On pourrait ainsi commencer à envisager un dépassement des institutions actuelles et une réelle transition écologique.