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Vers un taux de chômage de 32% en avril?

24 mars 2020

  • Julia Posca

Le Québec sera donc « en pause » dans les prochaines semaines, pour reprendre l’expression utilisée par le premier ministre lors de l’annonce de la fermeture de « tous les services et toutes les activités économiques non essentiels » à compter du 24 mars et au moins jusqu’au 13 avril. La mesure était nécessaire afin d’accentuer la lutte contre l’épidémie de COVID-19 et freiner autant que possible sa progression.

Le problème, c’est bien entendu que cette « pause » aura pour effet de mettre des milliers de personnes au chômage de manière – espérons-le – temporaire. Alors qu’à l’échelle du pays, Service Canada a déjà reçu 929 000 demandes d’assurance-emploi la semaine dernière (un nombre environ 34 fois plus élevé qu’à pareille date l’année dernière), il faut bien sûr s’attendre à ce que ce nombre augmente beaucoup dans les prochaines semaines.

Évaluer de combien de points augmentera le taux de chômage, qui était à un plancher historique de 4,5% au Québec en février dernier, est un exercice périlleux. La situation actuelle est non seulement inédite, elle évolue en plus de jour en jour. Le journaliste Francis Vailles, qui s’était prêté à un tel exercice après que la fermeture d’une première série de commerces et entreprises ait été annoncée, avait estimé que le taux de chômage atteindrait 9,4%. On peut ainsi, et ce de manière parfaitement hypothétique, produire une nouvelle estimation à l’aide des données de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail de décembre 2019.

Il y avait environ 4 340 000 personnes en emploi (incluant quelque 570 000 travailleuses et travailleurs autonomes) au Québec en 2019. Afin de calculer l’impact des fermetures survenues jusqu’ici sur le taux de chômage, j’ai additionné les emplois dans les industries qui ont déjà fermé leurs portes et celles qui devront le faire d’ici mercredi à minuit et une. Pour certains emplois, j’ai émis l’hypothèse que 10, 20, 30, 50 ou 80% des emplois seraient maintenus. Pensons par exemple à la restauration ou encore au secteur hôtelier, où un nombre réduit de personnes continueront de travailler, contrairement aux emplois dans les débits de boisson ou les salons de coiffure, qui seront affectés à 100%.

Sur la base de ces calculs, j’en arrive à un total d’environ 1 118 000 emplois perdus à partir de cette semaine. En additionnant à ce nombre 20% des travailleuses et travailleurs autonomes, plus les 231 700 personnes déjà au chômage en 2019, j’arrive à un taux de 32,0%. Ce serait un niveau jamais vu depuis la crise économique des années 1930! À nouveau, j’insiste pour dire qu’il ne s’agit que d’une hypothèse et qu’elle est loin d’être parfaite. Par exemple, je n’ai pas tenu compte des nouvelles embauches qui ont eu lieu dans le réseau de la santé. Cette estimation nous donne toutefois un ordre de grandeur qui permet d’évaluer le choc à venir.

Une crise qui frappe des ménages endettés

Et choc il y aura à n’en pas douter, notamment parce que la situation financière des ménages n’est pas des plus reluisante. Rappelons-nous seulement qu’en 2019, la dette des Québécoises et des Québécois atteignait en moyenne 155% de leur revenu disponible (contre 175% au Canada). Or, comme l’augmentation de l’endettement depuis 1999 a été majoritairement causée par la croissance des dettes hypothécaires, les ménages propriétaires seront sous pression dans les prochains mois, et ce malgré la faiblesse des taux d’intérêt. Quant aux ménages locataires, s’ils n’ont pas à se préoccuper de paiements hypothécaires, leur loyer n’est pas non plus compressible et leurs revenus sont beaucoup plus faibles : en 2017, le revenu réel médian après impôt des ménages propriétaires au Québec était de 72 300$, contre 37 500$ pour les ménages locataires. En clair, les obligations financières des Québécois vont peser lourd en regard de leur nouvelle situation budgétaire.

Des mesures énergiques sont attendues

L’effort requis de nos gouvernements pour soutenir financièrement les personnes qui seront sans emploi sera donc colossal. Si on a salué le gouvernement de François Legault pour sa gestion efficace de la crise sanitaire, sur le plan économique, c’est le fédéral qui a jusqu’ici mis en place les mesures les plus utiles. En effet, l’aide financière offerte par Québec est largement insuffisante (elle ne s’adresse qu’aux personnes infectées par la COVID-19 ou étant en contact avec une personne infectée).

En revanche, l’augmentation de l’Allocation canadienne pour enfants touchera beaucoup plus de gens, tout comme l’amélioration de l’accès aux prestations de maladie de l’assurance-emploi ainsi que les nouvelles allocations de soutien et autres allocations de soins d’urgence. Les montants et les critères d’admissibilité étant encore inconnus, il faut espérer qu’ils seront à la hauteur des besoins. À ce propos, Ottawa s’apprêterait à adopter une loi qui permettrait au gouvernement de dépenser des fonds publics et de percevoir des revenus sans l’approbation préalable du Parlement – une mesure qui semble incontournable dans le contexte actuel.

Par ailleurs, si ces aides gouvernementales sont primordiales, la conjoncture exige que les entreprises qui fournissent des services essentiels à la population contribuent à leur tour à alléger le fardeau financier des ménages. Hydro-Québec a déjà annoncé la suspension de l’application des frais d’administration applicables aux factures impayées. Desjardins et les 6 grandes banques canadiennes offriront pour leur part des sursis de paiement à leur clientèle (mais elles pourraient en faire bien plus). Il est maintenant temps pour les Bell, Vidéotron, Énergir et autres de leur emboîter le pas.

Une crise sans précédent exige une réponse sans précédent. Espérons qu’elle sera au rendez-vous.

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