Ce qui menace l’économie canadienne
12 mars 2020
Les facteurs qui influencent l’activité économique d’un pays sont si nombreux, et leur évolution est parfois si rapide, qu’il est la plupart du temps risqué de se limiter à un événement ou un phénomène pour prendre le pouls de l’économie ou pour comprendre les soubresauts des marchés financiers.
Le mois dernier, plusieurs acteurs économiques et politiques au Canada n’ont pas hésité à accuser les opposant·e·s au projet de gazoduc Coastal Gaslink, qui ont perturbé le trafic ferroviaire pendant plusieurs semaines, de paralyser l’économie du pays.
Le premier ministre du Québec a par exemple affirmé fin février que les pertes pour l’économie de la province dues au blocus s’élevaient à « plus de 100 millions de dollars par jour ». Le chiffre a entre autres été remis en cause par le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, qui a souligné non sans raison que la source de cette estimation était inconnue.
De son côté, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a martelé que le blocus ferroviaire avait de « graves répercussions » sur les entreprises du pays. Au-delà des anecdotes qu’elle a pu mettre de l’avant, la FCEI s’est basée sur les résultats d’un sondage réalisé auprès de chefs d’entreprise pour appuyer ses affirmations. Malheureusement, on ne connaît pas la méthodologie utilisée pour ce sondage et on ne peut donc juger de sa qualité. On sait seulement que l’organisme a reçu 6 802 réponses. Par contraste, la FCEI dit compter 110 000 membres, tandis que le Canada comptait 1,15 million de PME en 2017.
Certes, on ne peut nier que cette perturbation temporaire de la circulation ferroviaire ait eu un impact. C’est précisément l’objectif de ce type d’actions que de déranger le cours normal des choses pour faire pression, dans ce cas-ci sur les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique. De fait, on sait que le Canadien National (CN) avait temporairement mis à pied 450 de ses employés à la suite du blocage de Belleville, en Ontario. À l’inverse, des entreprises de camionnage ont rapporté faire de bonnes affaires dans le contexte.
Il est cependant difficile d’estimer l’ampleur de cet impact, et il est donc franchement hasardeux d’affirmer que ces événements ont paralysé l’économie du pays. Même lorsque les chiffres sur le commerce et l’emploi pour cette période seront connus, on pourra difficilement isoler l’effet des manifestations contre le projet Coastal Gaslink sur leur variation.
Le problème structurel du Canada
Depuis une semaine, un événement d’une tout autre nature perturbe toutefois l’économie mondiale et l’économie canadienne. Le 6 mars, les pays de l’OPEP ont tenté de s’entendre pour faire diminuer la production de pétrole brut. La mesure devait permettre de s’ajuster à la baisse de la demande liée à l’épidémie de COVID-19. Or, devant le refus de la Russie de coopérer, l’Arabie saoudite a plutôt décidé d’augmenter sa production, faisant ainsi chuter les prix du pétrole. Les titres transigés sur les marchés boursiers ont aussi commencé la semaine en enregistrant de fortes pertes, signe que l’incertitude a gagné la planète financière.
La guerre de prix que se livrent depuis les Russes et les Saoudiens pourraient avoir un impact significatif sur le Canada, qui est un exportateur de pétrole, et plus spécifiquement sur l’Alberta, principale province productrice d’énergies fossiles au pays. Déjà, les cours du pétrole en Amérique du Nord ont chuté dans les derniers jours.
En entrevue à Radio-Canada, l’économiste de l’Université de Calgary Blake Shaffer appelé le gouvernement albertain « à favoriser une plus grande diversification économique. » « Il est important d’avoir une économie qui ne dépend pas d’une guerre des prix entre les Saoudiens et les Russes », a-t-il ajouté afin de mettre en lumière la fragilité actuelle de l’économie albertaine.
Ces bouleversements nous rappellent ainsi que l’entêtement des gouvernements à encourager une industrie fossile qui appartient déjà au passé est une bien plus grande menace pour l’avenir de l’économie canadienne – et pour la santé de nos écosystèmes – que n’ont pu l’être les membres de la nation Wet’suwet’en ou encore les citoyen·ne·s qui, d’un bout à l’autre du pays, ont démontré leur solidarité envers la nation de la Colombie-Britannique.