Gilets jaunes contre la fiscalité ou contre l’injustice fiscale
22 janvier 2019
Bien que la surtaxe sur les carburants ait été l’élément déclencheur de la crise, beaucoup d’autres symboles forts ont alimenté la colère française. « Il y a une limite à ce qu’on peut demander aux contribuables. Il y a toujours un risque qu’on dépasse cette limite et qu’il y ait une révolte. » C’est en ces mots que le premier ministre François Legault a commenté hier de Paris la révolte des gilets jaunes en France.
C’était aussi peu ou prou l’analyse que le chroniqueur Francis Vailles a faite récemment dans La Presse. Il évoquait la « pression » fiscale, la part totale du produit intérieur brut (PIB) versée en taxes et en impôts dans une économie donnée, pour expliquer les manifestations de colère en France. Les fondements de cette révolte apparaissent pourtant beaucoup moins simplistes que ce qu’avancent MM. Legault et Vailles.
Le premier point qui devrait sauter aux yeux d’une personne qui s’intéresse un tant soit peu aux gilets jaunes français est que bien que la surtaxe sur les carburants ait été l’élément déclencheur de la crise, beaucoup d’autres symboles forts ont alimenté la colère française. Parmi eux, l’abolition de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par le gouvernement d’Emmanuel Macron, qui a profité aux plus riches et qui a été largement dénoncé par le mouvement.
Si on fouille davantage, on s’aperçoit en effet que parmi les revendications portées par différents collectifs de gilets jaunes, on exige, en plus du rétablissement de l’ISF, la taxation des carburants maritimes et aériens, celle des géants du web (Google, Amazon et consorts), celle des transactions financières ou encore une taxation plus serrée du profit des multinationales pour les activités réalisées dans le pays. On demande aussi d’accroître la progressivité de l’impôt, notamment par la hausse du nombre de paliers, et de lutter contre toutes les formes d’évasion fiscale.
En d’autres termes, il semble que les gilets jaunes ne soient pas nécessairement contre les prélèvements fiscaux dans leur ensemble, mais qu’ils en aient contre les injustices fiscales qui font d’ailleurs les manchettes depuis des années. Voilà qui est bien différent.
Après tout, la fiscalité, comme l’ensemble des leviers économiques que détient le gouvernement, peut servir à renforcer tant l’intérêt du plus grand nombre que celui d’une minorité de privilégiés. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Institut des politiques publiques (IPP) ont montré comment les deux premiers budgets du gouvernement Macron ont favorisé les 1 ou 2 % les plus riches du pays.
Le deuxième point qui tend à invalider l’idée selon laquelle il existerait un seuil d’imposition au-delà duquel un système démocratique est délégitimé est une simple comparaison avec d’autres pays. Aucune crise sociale n’est survenue dans plusieurs autres pays européens – notamment en Scandinavie – en dépit de prélèvements fiscaux d’un niveau similaire à ceux de la France (46 %) : 46 % au Danemark, 44 % en Suède, 43,3 % en Finlande, mais aussi 44,6 % en Belgique. À l’inverse, la « pression fiscale » est très basse aux États-Unis (27,1 %), ce qui n’a pas empêché la population de ce pays d’élire un président pour qui le rejet des institutions est un véritable mantra.
Un troisième point à considérer est que s’il ne semble pas exister de lien entre charge fiscale et colère populaire, il semble plutôt y en avoir un entre fiscalité et inégalités. En effet, les données de l’OCDE montrent que les États qui parviennent le mieux à limiter les inégalités sont aussi ceux où la fiscalité est plus importante. Des études ont également montré que le fait de contenir les inégalités avait des effets favorables sur la qualité de vie de l’ensemble de la population.
Au Québec, la charge fiscale s’approche désormais de la moyenne des pays de l’OCDE, mais le niveau des inégalités y est moindre. C’est d’ailleurs ce que Francis Vailles lui-même relatait dans sa chronique du 11 janvier. Malheureusement, il a choisi de mettre l’accent sur une analyse tendancieuse du lien entre fiscalité et révolte des gilets jaunes, reléguant au second plan le lien, beaucoup plus clair celui-là, entre fiscalité et inégalités.