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Monopole de la SAQ

11 juin 2018

  • Julia Posca

Si l’on en croit ceux qui veulent mettre fin au monopole de la SAQ, la privatisation partielle ou complète de cette entreprise publique dédiée au commerce du vin et des spiritueux donnerait lieu à une saine concurrence entre de nombreuses entreprises, et ce, pour le plus grand bénéfice des amateurs de boissons alcoolisées. Est-ce bien le cas ? À quoi ressemblerait un Québec où la vente de l’alcool aurait été complètement libéralisée ?

On peut, pour répondre à cette question, se baser sur les résultats d’études récentes qui comparent diverses provinces canadiennes (IRIS, 2015 et 2016 ; Association canadienne des sociétés des alcools, 2015).

On se rend alors compte que la réalité a peu à voir avec les théories défendues par les apôtres du libre marché.

Globalement, les prix de l’alcool varieraient peu. D’une part, parce que les entreprises publiques, grâce à leur réseau de distribution, demeurent plus compétitives. Les entreprises privées, pour dégager une marge de profit convenable, proposent quant à elles des prix qui ne sont en moyenne pas beaucoup plus avantageux. D’autre part, parce que les pertes de revenus de l’État seraient compensées par des hausses de taxes sur l’alcool qui gonfleraient le prix des bouteilles.

Les prix varieraient d’une région à l’autre et augmenteraient à mesure que l’on s’éloigne des grands centres.

La majorité des parts de marché qui iraient au secteur privé serait accaparée par les grandes chaînes d’épiceries ou de dépanneurs, et non par des petits commerces, qui ne feraient office que d’acteurs secondaires dans un tel marché.

Les quelques commerces spécialisés qui verraient le jour offriraient certainement des produits exclusifs, mais à des prix peu concurrentiels.

De plus, c’est surtout dans les grands centres qu’on trouverait ce type de magasins.

La clientèle d’un bon nombre d’entreprises privées ne pourrait plus compter sur les conseils des employés, puisque celles-ci n’investiraient pas nécessairement dans la formation du personnel en raison des coûts impliqués.

De plus, la main-d’œuvre du secteur s’appauvrirait, puisque la rémunération des employés dans le commerce de détail, qui est reconnu pour ses conditions de travail médiocres, est en moyenne moins bonne que celle des employés de la SAQ.

Les problèmes de santé et de sécurité publiques liés à la consommation d’alcool augmenteraient, puisqu’il est reconnu que les entreprises publiques assurent un meilleur encadrement des lieux de vente et des heures d’ouverture. Aussi, les entreprises privées appliquent moins bien la réglementation en matière de vente aux mineurs et déploient des stratégies de commercialisation pas toujours axées sur la consommation responsable.

En somme, toute forme de privatisation de la SAQ amènerait peu de nouvelle concurrence dans le marché déjà en partie libéralisé de l’alcool au Québec, et donc peu d’avantages pour la majorité des consommateurs.

Une telle politique ne ferait que permettre à une poignée de grandes entreprises privées de jouir d’une nouvelle source de profits sans que la population québécoise, dans son ensemble, en bénéficie.

Il serait en revanche souhaitable que la SAQ revoie ses priorités. Depuis quelques années, le gouvernement exige d’elle un dividende plus élevé, ce qui l’a poussée à améliorer ses processus pour diminuer le coût de ses activités, mais surtout à adopter une stratégie de commercialisation axée sur la vente de produits plus dispendieux.

Les amateurs de vin et de spiritueux auraient tout avantage à ce que la société d’État se recentre sur son mandat, qui consiste à « faire le commerce des boissons alcooliques et [à] bien servir la population de toutes les régions du Québec en offrant une grande variété de produits de qualité ».

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 11 juin 2018 de La Presse.

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