Il y a un lien entre la dette du Québec et le taux d’emprunt mais pas celui que vous pensez
11 mai 2019
Entre 2010 et 2015, c’est 20,2G$ de dollars que le gouvernement québécois a imposés en « effort » budgétaire dans le but d’atteindre le déficit zéro. Durant cette période, il a haussé ses revenus de 6,2G$ et réduit ses dépenses de 14G$. Ironiquement, on apprenait dans le dernier budget de la CAQ que le gouvernement prévoit dégager des surplus de 21,1G$ sur six ans.
Les gouvernements ne se contentent plus d’atteindre l’équilibre budgétaire, ils le dépassent largement. Ce choix frise pourtant l’obscénité, alors que l’actualité révèle régulièrement les effets délétères de l’insuffisance des ressources sur les services à la population. Dire que les politiques d’austérité étaient mal avisées relève en somme du pur euphémisme.
Et pourtant, ça continue. Le rapport mensuel des opérations financières du mois de février du ministère des Finances du Québec nous apprenait que les surplus de l’exercice 2018-2019 dépassaient maintenant les 9,1G$. 9,1G$ pour une seule année ! C’est plus que colossal dans le budget d’une province canadienne.
Le gouvernement du Québec utilise ces surplus pour réduire l’endettement du Québec. À part l’obsession caquiste de faire « mieux que l’Ontario », l’un des arguments qui soutient cette approche concerne les coûts d’emprunt. À la page I.10 du dernier budget, on peut lire que « [grâce] à la baisse du poids de la dette, le Québec bénéficie de coûts d’emprunt avantageux ».
À l’automne dernier, l’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD) de l’Université d’Ottawa publiait les résultats d’une étude sur l’impact de la « discipline fiscale ». Les auteurs se sont intéressés à l’endettement des provinces relativement à celui du gouvernement fédéral et ils ont notamment cherché à quantifier l’impact d’une baisse de l’endettement public d’une province sur ses coûts d’emprunt. Les constats qu’on peut en tirer sont extrêmement intéressants, même si ce ne sont pas ceux sur lesquels les auteurs voulaient attirer notre attention.
L’étude montre qu’une baisse d’un point de pourcentage de la dette publique calculée en pourcentage du PIB aura pour effet de réduire le taux d’emprunt d’une province de 0,0005%. Dans le cas du Québec, cela signifie que pour chaque 4 milliards de dollars que le gouvernement rembourse en coupant dans les services à la population, le taux d’emprunt se réduit de 0,0005%. En d’autres termes, oui, une baisse de l’endettement fait diminuer les coûts d’emprunt, mais cette diminution est si petite qu’elle ne peut qu’être qualifiée d’insignifiante.
Poussons le raisonnement plus loin. À partir des résultats obtenus par l’IFPD, on pourrait se demander combien le Québec épargnerait en coût d’emprunt s’il éliminait entièrement sa dette publique.
Supposons ainsi que le gouvernement décidait de fermer tous les ministères et organismes et qu’il ne faisait que rembourser la dette du Québec, il aurait alors besoin de 1,9 année pour rembourser sa dette nette, qui s’élève à 179G$. Toute chose étant égale par ailleurs, quel serait l’effet sur les coûts d’emprunt ? Le rendement des obligations passerait de 2,39% à 2,18%. Il ne reculerait donc que de 0,21 point de pourcentage, soit une baisse de seulement 8,9% ! En d’autres mots, démanteler l’État au grand complet (et détruire l’économie québécoise au passage) n’aurait qu’un effet négligeable sur le taux d’emprunt, selon les paramètres de l’IFPD.
Ces chiffres montrent à quel point il apparaît peu avantageux de se priver de ressources financières qui seraient bien plus précieuses ailleurs.
Toujours à partir des paramètres de l’IFPD, on s’aperçoit d’ailleurs qu’une augmentation du taux d’emploi a deux fois plus d’impact sur les taux d’emprunt qu’une réduction de la dette publique calculée en pourcentage du PIB. Il serait autrement dit plus opportun pour le gouvernement, s’il souhaite avoir un effet sur la taille de la dette par rapport à l’économie, de stimuler la création d’emplois plutôt que de couper dans ses dépenses.
En somme, les données publiées par l’IFPD révèlent une autre facette de l’inefficacité de la soi-disant « discipline fiscale », qui pousse les gouvernements à étouffer les services publics pour mieux réduire les dépenses de programmes. Non seulement il serait plus judicieux de hausser les dépenses et les investissements publics pour renforcer les services à la population, mais le gouvernement se trouverait du coup à réduire, indirectement, ses coûts d’emprunt.
Un argument de plus contre le dogme du conservatisme fiscal.
Illustration : Andrey Gosse