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Les milliards dans l’angle mort de la Loi sur l’équité salariale

13 février 2019


Depuis l’adoption d’une loi visant sa pleine réalisation en 1996, on aurait pu penser que l’équité salariale était un dossier réglé. Si cette loi a bel et bien favorisé l’atteinte d’une plus grande équité salariale en emploi, elle a toutefois gardé tout un pan du problème dans son angle mort, soit la création d’écarts de rémunération gigantesques au sein même du secteur public. Ce problème est l’objet d’une étude que j’ai réalisée en collaboration avec Eve-Lyne Couturier et qui est publiée cette semaine par l’IRIS.

Plusieurs avancées apportées par les mouvements féministes témoignent du fait que la condition des femmes dans la société québécoise a heureusement évolué au cours des dernières décennies en matière d’emploi, notamment au niveau des stéréotypes de genre et des choix de carrière qui leur sont associés. Malgré ces avancées, la ségrégation professionnelle est un phénomène persistant qui ne semble pas en voie de se résorber de sitôt. En effet, au Québec, 60% des femmes occupent des emplois typiquement féminins et 63% des hommes occupent des emplois typiquement masculins. Dans certains secteurs, la ségrégation a même augmenté. C’est le cas du secteur parapublic des services (éducation, santé et services sociaux), où les taux de présence des femmes ont graduellement, mais constamment augmenté entre 1987 et 2017, puisque pour cette période la proportion de femmes est passée de 74 à 81% dans le système public de santé et services sociaux et de 58 à 69% dans le système public d’éducation.

On se retrouve ainsi dans une situation où, de tous les secteurs du marché de l’emploi sondés dans le cadre de l’Enquête sur la Rémunération Globale (ERG) menée chaque année par l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ), seul celui de « l’administration québécoise », qui regroupe la fonction publique et le secteur parapublic des services, compte une forte majorité de femmes à son actif. Or, la plupart des emplois que l’on y retrouve correspondent à la définition des métiers typiquement féminins, liés aux soins des personnes (professionnelles de la santé, enseignantes, etc.) ou au travail de bureau.

Dans un même temps, le secteur de « l’administration québécoise » est celui qui offre la rémunération la moins intéressante de tout le secteur public (lequel inclut également les universités, les municipalités, l’administration fédérale et les entreprises publiques). Les écarts de rémunération entre l’administration québécoise, les autres éléments du secteur public et le secteur privé (dans les entreprises de 200 employé-e-s et plus) n’ont cessé d’augmenter depuis 2000.

La cause de l’accroissement de ces écarts n’a rien de sorcier : les régimes d’austérité à répétition infligés à nos services publics ces deux dernières décennies ont mené à la stagnation de la rémunération de « l’administration québécoise », au point où elle est le seul secteur dont l’effectif a vu son pouvoir d’achat diminuer légèrement entre 2000 et 2017 (-1%), alors que tous les autres secteurs sondés par l’ISQ ont connu une augmentation se situant entre 10% et 16%.

Il apparaît clair que la combinaison de la ségrégation professionnelle et de la stagnation salariale qui affecte « l’administration québécoise » indique la présence d’une discrimination systémique fondée sur le sexe ; celle-là même que la Loi sur l’équité salariale de 1996 devait éliminer. Cette loi ne suffit donc pas à corriger cette forme d’injustice, car elle ne peut être appliquée qu’à l’intérieur des différentes entreprises formant un secteur d’activité ; elle ne peut être appliquée entre les secteurs. Or, c’est l’ensemble du secteur de « l’administration québécoise » qui est typiquement féminin et subit les coups d’une dévalorisation du travail des femmes dans notre société.

La recommandation de l’étude que nous publions est donc de réformer la Loi sur l’équité salariale de manière à permettre la mise en place d’exercices d’équité salariale entre les secteurs. Cela impliquerait de procéder à des comparaisons systématiques des emplois du sous-secteur de « l’administration québécoise » avec des emplois équivalents dans d’autres sous-secteurs du secteur public. La comparaison avec le sous-secteur des « entreprises publiques » me semble la plus pertinente, puisque la majorité des emplois de celles-ci se retrouvent dans des sociétés d’État provinciales.

Résorber l’écart de rémunération annuelle de 23% qui existe entre « l’administration québécoise » et les « entreprises publiques » coûterait environ 7,3 milliards $ à l’État québécois. Comme environ les trois quarts de cette somme iraient aux employées femmes de « l’administration québécoise », cette mesure aurait pour effet de réduire l’écart général de salaire horaire moyen entre les hommes et les femmes au Québec d’environ le tiers (passant de 10,2% à 6,4%). Ce n’est pas rien.

Dans les débats entourant la laïcité et l’immigration, plusieurs se plaisent à rappeler que l’égalité hommes-femmes est une valeur chère au Québec. Il serait peut-être temps de passer de la parole aux actes et de mettre fin une bonne fois pour toutes aux doubles standards qui ont pour effets d’encore et toujours sous-valoriser le travail des femmes.

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