Bill, le dramaturge
25 octobre 2017
Hier, le ministre des finances du Canada Bill Morneau présentait la mise à jour économique d’automne. Attaqué de toutes parts depuis plusieurs semaines tant sur sa réforme de la fiscalité que sur des questions d’éthique, le ministre Morneau ne bronche jamais. Il garde le cap sur le procédé élaboré lors de la dernière campagne qui met en scène des (petits) déficits et des (petits) cadeaux. Mais face aux petites tempêtes parlementaires, l’économie réelle reste largement intouchée et la pièce montée par Morneau devient de plus en plus lassante
Bill Morneau a été au cœur des débats dans les derniers mois. L’opposition (et même certains de ses collègues libéraux) l’a notamment fustigé pour sa réforme fiscale qui visait à fermer des échappatoires fiscales, dont la possibilité offerte à certains professionnels de s’incorporer pour éviter de payer de l’impôt. M. Morneau a ensuite été au cœur d’un scandale sur les actions qu’il détient dans Morneau-Schepell. Hier, le ministre cherchait à reprendre le momentum en se présentant à nouveau comme un héros de la « classe moyenne ».
Que contient la mise à jour de Bill Morneau ?
La principale annonce aura été l’indexation dès 2018-2019 de l’allocation canadienne pour enfant. L’État versera ainsi jusqu’à 96$ de plus pour un enfant de moins de 6 ans et jusqu’à 81 $ pour un enfant de 6 à 17 ans. Combinée à l’autre nouvelle mesure, la bonification des prestations pour les travailleurs et travailleuses pauvres, ce n’est rien de plus que 500 millions par année qu’ajoute le gouvernement à ses dépenses, ce qui n’a rien de spectaculaire dans un budget qui s’élève à 329 milliards. Cela signifie d’ailleurs que seulement 5% de la marge de manœuvre acquise avec l’embellie économique (environ 10 G$) vient alimenter les programmes.
Le constat de petitesse s’applique plus nettement encore en ce qui a trait à la fameuse réforme de la fiscalité proposée par M. Morneau qui est en fait une réformette. Les associations patronales et professionnelles se sont beaucoup agitées, mais la fin des échappatoires fiscales visées par la réforme n’ajoutera que 250 millions au budget du Canada. Et si l’on soustrait les baisses d’impôts accordées aux petites entreprises pour calmer la grogne, ça ne laisse que 100 millions de nouvelles entrées fiscales.
Mais contrairement à ce que souhaitaient les tenants de l’austérité fiscale, le ministre n’a pas annoncé de date pour le retour à l’équilibre budgétaire. On anticipe des petits déficits pour de nombreuses années. On en prévoit un de moins de dix milliards en 2022-2023. Juste assez pour ne pas avoir à s’engager tout de suite à ramener le déficit à zéro.
Bref, Morneau garde le cap. Il utilise la même recette depuis l’élection du gouvernement Trudeau: des déficits limités et des petits cadeaux pour une « classe moyenne » dont il se présente systématiquement comme le porte-étendard.
Et alors, le ministre fait-il les bons choix ?
Oui et non.
Oui, parce que…
Il ne cède pas aux tenants dogmatiques du conservatisme fiscal qui exigent un retour rapide au déficit zéro. Notons – et c’est majeur – que même si le gouvernement canadien réalise des déficits, ils sont tellement petits que la dette continue de décroître lorsqu’on la compare à la richesse collective mesurée à l’aide du produit intérieur brut (PIB).
Il faut toujours comparer les gros chiffres de la dette à d’autres gros chiffres pour saisir ce qui est réellement en train de se passer. L’embellie de l’économie canadienne depuis le dernier budget a permis à l’État d’engranger davantage de revenus que prévu et ainsi de réduire à la fois la taille du déficit (que l’on calcule sur une année) et celle de la dette (qui, vite dit, correspond aux déficits qu’on a accumulés au fil des années).
Ainsi, plutôt qu’un endettement à 31,6 % du PIB, tel que l’on prévoyait au début de l’année, la dette canadienne ne correspondra qu’à 30,5 % du PIB au terme de l’exercice 2017-2018 et ira jusqu’à passer sous la barre des 30 % avant 2020 (et rappelons-le, en dépit des déficits prévus dans les prochaines années). Parce que le PIB (pour l’instant du moins) croit plus vite que la dette brute.
Il est instructif de se rappeler qu’en 2005-2006, avant même la Grande Récession venue accabler l’économie mondiale et les finances publiques de presque tous les pays, la dette était plus élevée, à 34,1 % du PIB. La dette nette du Canada est par ailleurs la plus basse parmi les pays du G7.
Bref, les tenants du conservatisme fiscal devraient lancer des confettis. Malheureusement, ils ne sont pas tellement portés sur la chose.
Quant aux allocations familiales, elles ont bel et bien eu un effet. Nous l’avons noté lors du calcul du salaire viable pour le Québec cette année. L’impact de ces transferts aux familles avec enfant a réduit le seuil du salaire, c’est-à-dire le niveau qui permet à une famille de sortir la tête de l’eau. C’est dire qu’une politique fiscale peut avoir des effets favorables : après des décennies de réformes néolibérales, on a presque fini par oublier que la fiscalité n’est pas simplement un hobby pour ceux qui ont les moyens de se payer des fiscalistes…
Les transferts aux ménages sont d’autant plus pertinents que bien que la dette canadienne soit basse, l’endettement des Canadien-ne-s continue quant à lui d’inquiéter les institutions internationales tant il est élevé.
Est-ce dire alors que le ministre Morneau est un héros des « classes moyennes » ?
Non, parce que…
Parce que la part de symbolique demeure malgré tout si grande que les politiques budgétaires votées à la Chambre des communes se comprennent bien davantage à la lumière du roman-feuilleton parlementaire que de l’économie réelle.
Un gouvernement ambitieux aurait pu se donner pour objectif d’éradiquer purement et simplement la pauvreté au Canada ou de régler une fois pour toutes le manque de logement. Pourquoi pas ? Il aurait pu atteindre des résultats phénoménaux en la matière puisqu’il avait l’appui de la population pour relancer massivement l’économie, même s’il faut pour ce faire s’endetter pendant que la situation budgétaire est bonne et que les taux d’intérêt sont bas.
À l’inverse, les politiques actuelles du gouvernement continuent de faire des exclus tels que les ménages comptant une seule personne. La proportion de ceux-ci (28 %) atteint un sommet en 150 ans et ils sont souvent les plus pauvres au Canada.
Le gouvernement aurait pu également entreprendre de nous sortir des énergies fossiles ou encore de reprendre le flambeau de la gratuité des soins de santé, y compris des médicaments. Le gouvernement pourrait s’attaquer à l’évasion fiscale. Il pourrait réduire drastiquement les inégalités.
L’époque de Stephen Harper était si sombre que n’importe quel politicien lui succédant était voué à nous apparaître comme un socialiste motivé. Il serait faux d’affirmer que les politiques économiques de Bill Morneau n’ont eu aucun impact, mais elles n’ont rien à voir avec ce que serait une politique ambitieuse qui transformerait la structure de l’économie canadienne.
La croissance économique spectaculaire au 2e trimestre de 2017 (4,5 %) qui boucle une année à 3,7 % de croissance s’explique bien moins par les transferts aux ménages ou le programme des infrastructures que par la reprise de l’économie aux États-Unis où le taux de chômage atteint désormais son niveau le plus bas en 16 ans, soit 4,3 %.
L’économie canadienne est également favorisée par la baisse du dollar et les faibles taux d’intérêt qui ont stimulé le marché de l’immobilier, ce qui comporte sa part de risque. Le déclenchement d’une autre crise économique pourrait avoir des effets très graves sur des ménages actuellement très vulnérables.
Le gouvernement a bel et bien posé des gestes depuis deux ans, mais sans commune mesure avec ce qui pourrait être accompli dans un pays aussi riche que le Canada.
Il est demeuré stationné au centre.
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En somme, le gouvernement peut bien fanfaronner, il n’en demeure pas moins qu’il agit très peu sur l’économie canadienne et qu’il a joué de chance avec une conjoncture extérieure favorable. L’économie canadienne reste extrêmement dépendante de son imprévisible voisin du sud et elle reste fortement soutenue par le modèle extractiviste, appelé pourtant à disparaitre à plus ou moins long terme. C’est pourquoi il est vain d’espérer soutenir l’économie uniquement par l’allocation aux familles, il faut que le gouvernement s’attaque à des changements structurels de l’économie. Quant aux déficits, ils sont présentés comme gigantesques par une partie de la classe politique, mais ils seront bientôt dérisoires alors que la dette ne cesse de décroître. Plutôt que de prendre le taureau par les cornes, le gouvernement abandonne chaque jour qui passe l’opportunité d’abattre réellement des problèmes sociaux et économiques.