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Régime de retraite : faire cavalier seul vers le cul-de-sac

29 juin 2016

  • Eve-Lyne Couturier

Lundi dernier, tous les ministres des Finances du Canada se sont rassemblés à Vancouver. Leur objectif : s’entendre sur une réforme du système de retraite pour que les prestations permettent une vie digne aux personnes de 65 ans et plus.

Pour adopter une réforme du Régime de pensions du Canada (RPC), et par extension, du Régime de rentes du Québec (RRQ), il faut l’accord de sept provinces représentant au moins 67 % de la population du Canada. En 2009, ça y était presque, mais le ministre fédéral de l’époque, Jim Flaherty, a mis son veto. Depuis, l’Ontario a choisi de faire cavalier seul et d’instaurer un régime complémentaire pour suppléer à ce qui manquait à sa population âgée qui ne recevait que le RPC.

Sept ans plus tard, il n’a fallu qu’une seule journée de discussion pour arriver à un accord : le RPC sera bonifié pour couvrir 33 % du salaire à la retraite (plutôt que 25 %), jusqu’à concurrence d’un revenu cotisable de 82 700 $ en 2025. Cela se traduirait par des cotisations légèrement plus élevées à partir de 2019.

Jugeant la nouvelle configuration intéressante, l’Ontario a choisi de suspendre sa propre réforme qui était pourtant bien plus généreuse. Toutes les provinces ont accepté, sauf deux : le Québec et le Manitoba. Pour ce dernier, l’entente arrivait trop vite par rapport à l’accession au pouvoir du nouveau gouvernement en avril dernier. Quant au Québec, il trouve que le plan ne répond pas à ses défis spécifiques.  

Que doit-on comprendre de cette position? Rappelons tout d’abord que les salaires au Québec sont en moyenne moins élevés que ceux ailleurs au Canada (mais que le coût de la vie y est également moindre). Il en découle que les prestations à la retraite sont moins élevées. De plus, les personnes âgées du Québec sont plus susceptibles qu’ailleurs de recevoir le supplément de revenu garanti (SRG), une forme de revenu minimum garanti à la vieillesse qui permet d’avoir un revenu supérieur à l’aide sociale.

En 2013, 42 % des personnes de 65 ans et plus au Québec recevaient cette prestation, soit un pourcentage plus élevé que pour le reste du Canada (32 %). L’écart est encore plus grand avec l’Ontario, dont le pourcentage se situe à 27 %. La proportion au Québec est néanmoins en diminution constante.

Il faut savoir qu’avec le SRG, plus la personne gagne d’argent, moins la prestation est importante. Leitão justifie donc son désaccord avec la réforme par le fait qu’elle se traduirait par une augmentation des cotisations sans augmentation de revenu pour la quantité appréciable de personnes âgées ayant droit au supplément. En effet, celles-ci verraient leur hausse du RPC annulée en partie par une baisse du SRG.

De plus, il s’agit d’un programme fédéral, ce qui veut dire que l’apport d’Ottawa serait compensé par une augmentation des cotisations des employé·e·s et des employeurs, sans compensation. Leitão proposait plutôt d’exclure les personnes gagnant moins de 25 000 $ pour concentrer la réforme sur la « classe moyenne ». Est-ce que cela veut dire que les personnes les plus pauvres verront leurs revenus à la retraite stagner? Il faudra attendre la fin de la consultation que le gouvernement veut mettre en place cet automne pour le savoir.

Malgré le refus de signer du Québec, Terre-Neuve-et-Labrador de même que le Nouveau-Brunswick, deux provinces où les personnes âgées reçoivent encore plus de prestations du SRG, ont toutes les deux accepté le plan. Y a-t-il autre chose qui se cache derrière le refus du Québec?

Doté d’un régime de retraite autonome, Québec choisit d’implanter les réformes de son choix, selon ses propres priorités. Le gouvernement l’a dit : il est d’accord pour une « hausse modeste, ciblée et graduelle ». Le mot clé est « ciblée » (et aussi « modeste »).

Que ce soit en éducation, en santé ou dans les programmes de soutien au revenu, les décisions du gouvernement actuel tendent à segmenter les services, à catégoriser les utilisateurs et utilisatrices, et à reléguer la responsabilité (et le risque) aux individus. Les programmes universels n’ont pas la cote auprès de Couillard.

Il n’est pas étonnant que le premier ministre se drape dans la défense des plus pauvres pour justifier ses choix, mais il suffit d’examiner les décisions qu’il a prises dans le passé pour se rendre compte de la supercherie. Le choix de moduler les frais de services de garde, par exemple, permet peut-être de maintenir l’abordabilité pour les familles moins nanties, mais au prix d’une désaffection du modèle connu, reconnu et démocratique des centres de la petite enfance (CPE). Les réformes de l’aide sociale quant à elles promettent des économies au prix d’un appauvrissement de personnes déjà très pauvres.

Et si on ne s’intéresse qu’à la question des revenus des retraites, on peut regarder du côté de l’instauration du régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) pour constater que la prise en compte de l’intérêt des moins nantis peut également cacher l’alignement avec celui des banques, des institutions financières ou des entreprises privées. Alors qu’on nous promettait un nouveau véhicule d’épargne efficace pour compenser le manque d’implication des employeurs dans certains régimes d’entreprise, on se retrouve avec des régimes qui prennent du temps à être mis en place, auxquels les employeurs ne cotisent pas et qui n’offrent pas de flexibilité pour les épargnant·e·s.

Sachant tout cela, comment être enthousiaste devant l’optimisme du gouvernement à faire cavalier seul « pour le bien » des personnes au bas de l’échelle? D’autant plus que la réforme adoptée à Vancouver demeure assez timide.

Bien entendu, mieux vaut avoir 33 % que 25 % de prestations, tout le monde s’entend. Mais est-ce que ce sera assez pour mettre le Canada en peloton de tête en ce qui concerne les retraites (il est maintenant 17e sur 20 parmi les pays de l’OCDE)? La réforme serait bien plus une question de déplacer l’origine des revenus de retraite que de les augmenter.

Comment cette réforme aidera-t-elle les personnes qui choisissent de ou doivent s’occuper de jeunes enfants ou de membres de leur famille malades pendant plusieurs années? Celles qui ont travaillé à faible salaire et qui ont besoin d’une réelle bonification de leurs revenus pour couvrir leurs besoins à la retraite? Bonifier le RPC et le RRQ sans toucher au SRG, c’est oublier un large pan de la population et simplement dédouaner Ottawa et Québec de leurs responsabilités. On nous promet de bonifier des crédits d’impôt, mais est-ce que ça aidera vraiment une fois à la retraite?

Si nous avons cette discussion, c’est que les entreprises privées remplissent de moins en moins leur part de l’entente quand il est question de retraite. Toute cotisation supplémentaire leur fait peur, et elles essaient de les éliminer autant que possible. Les régimes à prestations déterminées se raréfient, les régimes collectifs d’entreprise aussi.

 La retraite est perçue comme un enjeu personnel, individuel. À chacun·e de cotiser, de choisir son régime, de décider comment le gérer une fois la vie active terminée. Pourtant, les régimes collectifs, comprenant des cotisant·e·s de tout âge et de tout revenu, sont bien plus efficaces et mieux gérés. Qu’à cela ne tienne, notre bon gouvernement préfère encore payer moins pour moins. Ça, c’est de l’efficacité.

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