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Les effets secondaires de l’amertume médicale

5 février 2016

  • Guillaume Hébert

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt une lettre d’opinion rédigée par un médecin saskatchewanais, le Dr Dennis Kendel. Il a pris la plume pour mettre en garde les médecins canadiens contre « les effets à long terme de l’amertume ». Une maladie peu connue ? Non, il explique pourquoi l’hostilité des médecins envers l’État peut avoir de fâcheuses conséquences lorsqu’elle devient plus pathologique que raisonnée.

Le Dr Kendel en a vu d’autres. Devenu médecin de famille en 1972, il devient président de l’Association médicale saskatchewanaise (AMS) à l’âge de 33 ans seulement. Jusqu’à aujourd’hui, sa carrière l’a ensuite mené à assumer toutes sortes de responsabilités au sein du système de santé de sa province. À 70 ans, il travaille maintenant à recruter de jeunes médecins en plus de tweeter comme un enragé.

Deux événements lui ont enseigné comment la réticence des médecins envers l’État pouvait être desservir le public. D’abord, la bataille menée en 1962 par le gouvernement CCF de Tommy Douglas pour l’implantation de l’assurance-maladie. Kendel était adolescent lorsque les médecins saskatchewanais sont entrés en grève contre le gouvernement qui voulait mettre en place la gratuité des services médicaux en payant lui-même la facture. Effrayé par la socialisation de la médecine (et par le communisme), les médecins d’Amérique du Nord se sont farouchement opposés au gouvernement Douglas en lançant une grève à travers la province.

Mais la population, largement rurale, appuyait le gouvernement et s’organisera contre la grève des médecins en mettant sur pied des cliniques communautaires. 23 jours plus tard, les médecins étaient défaits et l’assurance-maladie deviendra la politique sociale la plus célèbre de l’histoire du Canada. Quelques médecins courageux appuyaient l’initiative du gouvernement mais la plupart allaient à contre-courant de l’histoire.

Pourquoi les médecins étaient-ils si opposés à cette assurance qui permettrait d’offrir des soins gratuits à l’ensemble de la population ? Ils craignaient que l’État, en devenant le « payeur unique » (ou « tiers payeur »), obtienne un tel rapport de force contre les médecins qu’il finirait par s’ingérer dans leur pratique. L’avenir a montré qu’ils se trompaient : les médecins sont toujours très puissants, au-delà même de la médecine, et ils ont même convaincu l’État de leur verser des salaires très élevés qui, ayons la décence de l’admettre, sont largement préférables à une rémunération en poulet par des paysans du fin fond des Prairies…

L’autre événement qui a nourri la réflexion du Dr Kendell, c’est sa propre élection à la tête de l’AMS, il y a trente ans. Il relate dans sa lettre que les médecins s’attendaient de lui qu’il fustige le gouvernement sans faire de quartier. Ce qu’il fît. Or, il admet être aujourd’hui « gêné lorsque qu’il relit la rhétorique anti-gouvernementale qu’il produisait à cette étape de sa vie (traduction libre) ».

Ce qui a fait réagir Dr Dennis Kendel (à ne pas confondre par ailleurs avec Dennis Kendell), c’est l’affrontement qui a cours actuellement entre les médecins ontariens et le gouvernement de l’Ontario autour de coupures budgétaires. Les commentaires « au vitriol » par des médecins sur les médias sociaux lui rappelle les excès qu’il a lui-même expérimentés à d’autres époques.

Sans me prononcer sur le conflit en Ontario (où le gouvernement applique des mesures d’austérité), les remarques de Kendel devraient néanmoins faire réfléchir au Québec à l’heure où de plus en plus de voix s’élèvent pour réviser le statut et le mode de rémunération des médecins.

En effet, si les médecins sont toujours bizarrement travailleurs autonomes au sein du système de santé, c’est en vertu de cette « autonomie professionnelle » que les médecins défendent comme un Saint Graal, selon l’expression de Kendel. Or, toujours selon ce vétéran médecin, la société privilégie désormais davantage la capacité à travailler en collaboration avec les autres acteurs du système de santé plutôt que de se recroqueviller sur une chasse gardée.

Plutôt que de dégainer contre toute critique, les médecins québécois devraient peut-être prendre conscience de l’exaspération de plusieurs à leur endroit dans la société québécoise, faute de quoi ils pourraient vite se retrouver à contre-courant de l’histoire, comme les tristement célèbres médecins saskatchewanais des années 60…

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