Maintenant 700 milliards dans les coffres des entreprises
5 Décembre 2015
Début 2015, l’IRIS publiait une note socio-économique sur la surépargne des entreprises canadiennes, c’est-à-dire l’accumulation démesurée d’actifs liquides par les grandes entreprises. Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) publiait à son tour une étude de ce phénomène. Les constats sont similaires mais la surépargne atteindrait désormais 700 milliards de dollars.
Dans cette nouvelle étude du CCPA, Jordan Brennan a vérifié l’affirmation selon laquelle une baisse de l’impôt des entreprises favorise l’investissement et la croissance économique. La théorie néoclassique défend cette approche, et les politiques économiques et budgétaires mises en place par les gouvernements depuis le début des années 80 font écho à ce point de vue.
Or, les faits démentent cette approche, et il semble même que l’inverse pourrait être vrai, à savoir qu’une imposition plus élevée des entreprises soit associée à des périodes de plus grande croissance économique. Pour faire cette analyse, Bennan s’est basé sur les données économiques canadiennes de près d’un siècle.
Dans les années 50, le taux d’imposition combiné des gouvernements fédéral et provinciaux était supérieur à 50 %. Il amorce alors une longue descente qui s’accélère au fédéral avec une baisse d’impôt importante consentie par le gouvernement Mulroney en 1988 (de 36 % à 28 %), puis une autre avec le gouvernement Chrétien en 2001 (de 28 % à 21 %) et enfin une troisième baisse abrupte, cette fois par le gouvernement Harper en 2008 (21 % à 15 %). En combinant avec les baisses d’impôts des provinces, les taux d’imposition des entreprises se situent désormais autour de 25 %.
Jordan Brennan a donc considéré l’évolution de l’économie canadienne sur le long terme et il observe bel et bien une corrélation forte entre l’investissement des entreprises et la rémunération de travailleurs et des travailleuses. En revanche, les baisses d’impôts n’apparaissent pas contribuer à la réalisation de ces investissements et donc n’entraînent pas de croissance économique ou de baisse du taux de chômage.
Que se passe-t-il lorsque les entreprises bénéficient de ces baisses d’impôts, gouvernements après gouvernements? Elles empilent les liquidités.
Le graphique suivant montre l’évolution des taux d’impôts effectifs des plus grandes entreprises (axe décroissant à gauche) avec les liquidités des entreprises non-financières (axe de droite). On observe une hausse rapide de la thésaurisation (accumulation de liquidités) depuis la fin des années 90.
Les sommes qui s’accumulent sont donc colossales. Elles atteignaient déjà 600 milliards de dollars lorsque nous avions publié notre propre étude en début d’année; elles se situaient à 680 milliards au deuxième trimestre et auront vraisemblablement passé le cap des 700 milliards avant la fin de l’année. Un graphique publié dans le Huffington Post Canada montre cette évolution :
Les sommes sont d’autant plus stupéfiantes lorsqu‘on les compare aux déficits qui servent à justifier tant de politiques d’austérité au Canada. Ces déficits apparaissent dès lors ridicules. Ou révoltants, c’est selon.
On s’aperçoit vite comment on a plombé les recettes de l’État en concédant au fil du temps des baisses d’impôts très généreuses, qu’on n’en a pas retiré des bienfaits au strict point de vue de la stimulation économique, et qu’au final, ces sommes que les entreprises ont économisées sont toujours là, en marge du débat public, et ne servent pas à grand-chose pendant que l’on procède partout ailleurs à des coupes dans les services à la population.