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Les gadgets anti-impôt de l’Institut Fraser

8 septembre 2015

  • Guillaume Hébert

Comme il le fait chaque année, l’Institut Fraser publiait la semaine dernière son «Indice d’imposition des consommateurs canadiens» (Canadian Consumer Tax Index). Organisation promarché, le Fraser est aussi connu pour un autre gadget anti-impôt, le fameux Tax Freedom Day (la vidéo qui l’accompagnait cette année valait vraiment le détour). Il y a ces moments dans la vie où il y a tant de manières de s’objecter à une idée bébête qu’elles s’engouffrent toutes en même temps et qu’on reste un moment figé, déstabilisé par tant de simplisme. C’est la réaction que peut provoquer l’indice en question.

Voyons pourquoi cet indice ne nous aide pas à comprendre grand-chose.

D’abord, à écouter l’Institut Fraser, payer des impôts serait l’équivalent de se faire détrousser par des brigands dans le désert. Pas besoin d’avoir étudié la science politique pour comprendre que les sommes prélevées par le gouvernement servent à financer de nombreux outils collectifs à commencer par les services publics. Le commun des mortels sait aussi habituellement que le développement de ces services date en grande partie des années 60, soit le point de départ utilisé par l’Institut Fraser pour montrer l’évolution de la charge fiscale dans le temps. Guère surprenant que la courbe augmente à partir de là.

Ensuite, à moins d’être économiste «orthodoxe» et de réciter des chapelets sur la concurrence, on comprend qu’il est possible d’obtenir des services à meilleur prix lorsqu’on réalise des achats groupés ou qu’on offre des services standardisés à des millions de citoyennes et de citoyens de manière à réaliser des économies d’échelle, comme peut le faire un État sur la base d’un accès public. Nos collègues du CCPA ont calculé il y a quelques années à quel point certains biens et services publics coûteraient plus cher à tout un chacun si l’on devait se les procurer sur un marché.

Revenons à l’indice lui-même. L’Institut Fraser inclut dans son calcul des taxes tout ce qui lui tombe sous la main et qu’il peut lier, sans nuance, au secteur public (voir tableau 1): les cotisations sociales payées par les travailleurs, les taxes à l’importation, les frais liés à l’immatriculation, les taxes foncières (qui sont remboursées en partie au Québec aux locataires par l’entremise du crédit d’impôt pour solidarité)… Un melting-pot très questionnable.

Prenons le cas des cotisations sociales. Est-ce qu’on devrait concevoir les montants versés à des mécanismes d’assurance – comme l’assurance-emploi ou l’assurance-automobile – comme un simple impôt de plus? Si l’on est excessivement simpliste, j’imagine qu’on peut faire ce type de raccourci. Et dans ce cas-ci, ça correspond à environ 20% du total d’«impôt» payé auquel parviennent les auteurs du Fraser…

L’impôt, lorsqu’il est bien utilisé et qu’il fait en sorte que les plus riches contribuent avec une plus grande part de leur revenu, est le meilleur outil de redistribution de la richesse. À une époque où les inégalités augmentent ici comme partout ailleurs, et ce, jusqu’à inquiéter des institutions internationales qui historiquement ont plutôt encensé les réformes favorisant les marchés, les impôts devraient être haussés (intelligemment) plutôt que d’être présentés sans cesse comme un «fardeau» qu’il faudrait toujours réduire.

L’effet le plus trompeur produit par l’indice de l’Institut Fraser résulte néanmoins de l’utilisation d’une moyenne pour représenter l’impôt payé par les ménages au Canada. En réalisant cette proportion sur l’ensemble de la population, on donne l’impression que tout le monde paie la même proportion de revenu en impôt.

Or, si l’on refait l’exercice, donc que l’on calcule avec l’impôt toutes les taxes payées au Canada (toutes les taxes provinciales de vente plus la TVQ et les taxes sur l’alcool, le tabac et l’essence et l’impôt foncier), mais que l’on analyse ce total en considérant la part des revenus qu’il représente par déciles (donc la population coupée en dix groupes égaux en nombre, des plus pauvres aux plus riches), le portrait est plus instructif, comme le montre ce nouveau tableau:

Population du Canada (déciles) % de la charge fiscale par rapport au revenu

1

14,4 %

2

11,0 %

3

13,3 %

4

15,4 %

5

17,4 %

6

19,7 %

7

21,4 %

8

23,0 %

9

25,2 %

10

30,4 %

Source: Modèle de simulation de politiques sociales de Statistique Canada. Calcul de l’auteur.

En somme, en excluant les cotisations sociales et en s’abstenant d’utiliser une moyenne qui ne dit pas grand-chose, on s’aperçoit que personne n’a une charge fiscale de 42% comme l’affirme, tonitruant, l’Institut Fraser.

***

L’intuition de ne pas vouloir confier trop de pouvoir à un État qui pourrait en abuser n’est pas dénuée de sens. Au contraire. Les phénomènes qui accompagnent la bureaucratisation ou l’autoritarisme sont bien trop présents dans ce monde pour qu’on n’y songe pas. Mais l’activisme anti-État de certaines organisations libertariennes relève davantage d’une espèce de ferveur religieuse que d’une contribution enrichissante au débat sur des questions fiscales.

Une commission parlementaire étudiera justement cet automne à Québec les recommandations contenues dans le rapport final de la Commission d’examen sur la fiscalité (ou commission Godbout). Bien que la proposition de transformer les impôts en taxes, comme le privilégie le fiscaliste Luc Godbout qui préside à cette réflexion, ne soit pas une voie que nous jugeons intéressante, le débat pourrait bel et bien permettre d’améliorer la fiscalité québécoise.

L’IRIS y participera, on s’en reparle la semaine prochaine.

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