Malgré le frette et les barbares
11 avril 2014
La chanson « Les Yankees », de Richard Desjardins, est un chef-d’œuvre. Elle raconte en poésie ce qu’est l’impérialisme et le colonialisme à travers le récit d’un débarquement de marines au sud du continent. La chanson fait écho à une longue tradition de dépossession en Amérique latine, une sombre tradition à l’origine de l’expression « République de bananes ». On avait jadis attribué ce surnom au Honduras à l’époque où une compagnie bananière fonctionnait comme le véritable pouvoir à l’intérieur d’un État dirigé par un gouvernement de marionnettes. Mais qui sont vraiment ces « yankees »?
Honduras : Coup d’état et libre-échange
« On pensait que cette époque était terminée », affirmait Bertha Oliva en conférence à Montréal mercredi dernier. Mme Oliva est la coordonnatrice d’un centre de défense des droits humains au Honduras (COFADEH) et elle commentait la situation désastreuse dans laquelle se trouve son pays. Le Honduras semble se diriger à contre-sens de l’histoire alors qu’il combine aujourd’hui des processus de dépossession dignes de l’époque coloniale et une répression impitoyable de la dissidence comme le faisaient les gouvernements militaires des années 80. Bertha Oliva réalise une tournée canadienne pour une raison bien simple : depuis le coup d’État de 2009 contre un président trop peu favorable aux intérêts des élites économiques locales, le gouvernement Harper est devenu le plus grand allié de l’État hondurien. Alors qu’on pourrait s’attendre d’un pays qui affirme volontiers faire la promotion des valeurs démocratiques dans le monde qu’il applique plutôt des sanctions à un État où l’impunité règne en matière de violation des droits humains et où le climat social s’est dégradé au point d’en faire la capitale mondiale del’homicide. Toutefois, le Canada n’a rien trouvé de mieux que de signer un accord de libre-échange avecle Honduras. La semaine dernière, le député du NPD Wayne Marston questionnait (à 2h 22m 50s) les Conservateurs au Parlement canadien à propos de leur politique vis-à-vis le Honduras. Il a longuement déploré que le gouvernement de ce pays ne parvienne pas à faire la lumière sur les innombrables accusations d’exécutions extrajudiciaires qui pèsent sur les services de police et l’armée. Il a rappelé en outre que bien souvent, les clauses de protections sociales ou environnementales dans ce type d’accord servent surtout d’écran de fumée. Berta Oliva allait plus loin encore en expliquant que le Procureur général du Honduras avait affirmé qu’il arrivait à enquêter seulement 20% des meurtres commis dans le pays. Et on demeure encore bien loin de condamnations comme tel… Elle a donc posé cette question poignante : « Comment se fait-il qu’un pays comme le Canada supporte et récompense un gouvernement comme celui-là? ». Claude Vaillancourt d’ATTAC-Québec (qui lançait hier soir un livre sur le libre-échange) a suggéré deux réponses à la question de Bertha Oliva. D’une part, il y aurait un motif géopolitique aux politiques d’Ottawa puisque le coup d’État de 2009 et le gouvernement actuel au Honduras ont éloigné ce pays des gouvernements de gauche en Amérique latine qui cherchent à briser les liens de subordination avec les pays du Nord. Quant à la deuxième raison qui expliquerait la signature d’un accord de libre-échange, il s’agirait de servir les intérêts des minières canadiennes qui sont très actives dans la région. Ce ne serait pas le premier pays où la politique étrangère canadienne s’aligne sur les intérêts des entreprises minières, comme l’expliquait récemment Alain Denault à l’émission Tout le monde en parle.
Le Guatemala et le bas de laine des Québécois.e.s
Si Richard Desjardins avait écrit sa chanson en 2014, il aurait peut-être remplacé les « yankees » par les « minières canadiennes enregistrées à la bourse de Toronto »… Puisque de nos jours, ce sont bien souvent des compagnies canadiennes qui font la pluie et le beau temps dans les conflits sociaux et environnementaux en Amérique latine. Même s’ils sont peu connus du public, ces conflits sont si nombreux désormais que des organisations comme Mining Watch ont été fondées pour veiller sur l’activité minière canadienne et que c’est un travail en soit désormais de répertorier tous les conflits miniers dans une région comme l’Amérique latine (ex. : cette banque de données contenant plus de 200 projets miniers à l’origine de conflits). Il a deux semaines, l’environnementaliste guatémaltèque Rafael Maldonado précédait Bertha Oliva à Montréal. Lui aussi débarquait avec de bien tristes nouvelles relativement aux activités minières d’une entreprise canadienne dans son pays. Cette fois, c’est la compagnie Tahoe Resources Inc., enregistrée en Colombie-Britannique, qui est en cause. Les idées de la conférence de M. Maldonado ont été rapportées dans ce billet de blogue. Tous les éléments classiques des conflits socio-environnementaux en Amérique latine s’y trouvent : promesses de prospérité non tenues, dégradation de l’environnement, répression des populations locales souvent autochtones, complicité des autorités gouvernementales avec la société minière, etc. Maldonado demande aux autorités canadiennes de permettre aux victimes d’abus de porter plaintes devant les tribunaux canadiens contre les entreprises fautives. Le lobby minier a résisté dans le passé à de telles réformes juridiques. De son côté, pour forcer les entreprises à revoir leurs pratiques, le Projet d’accompagnement Québec-Guatemala s’est associé à diverses organisations dans la foulée de la venue de Rafael Maldonado au Québec afin de lancer une campagne de désinvestissement contre les sociétés qui se rendent coupables d’actes répréhensibles. Selon les calculs effectués par ces groupes, la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ) aurait investi 246 millions de dollars du proverbial « Bas de laine des Québécois.e.s » dans l’entreprise Goldcorp, également mise en cause par des ONG pour ses activités controversées en Amérique centrale (on apprenait d’ailleurs hier que Goldcorp avait haussé le montant de son offre d’achat hostile visant à acquérir la minière québécoise Osisko).
¡ Fuera Yankis !
Il est ardu de croire que les Québécois.e.s et les Canadien.ne.s sont réellement confortables à l’idée d’une retraite paisible qui dépendrait du saccage de l’environnement et de l’humiliation de peuples de pays du Sud. Il semble donc que l’information à ce sujet peine à percer dans l’opinion publique et que les entreprises elles-mêmes soient parvenues à ériger une ligne de défense efficace en affichant leur adhésion à la « responsabilité sociale des entreprises ». Mais un coup d’œil à l’intensité des conflits et à la feuille d’érable (et la fleur de lys) qui se voient sans arrêt éclaboussées en Amérique latine (et ailleurs dans le monde), nous enseigne que la situation est bien critique. Au Honduras, plus que partout ailleurs, le gouvernement canadien contribue à consolider le pouvoir d’un État qui fait l’objet d’un terrible bilan en matière de droits humains. Et si c’était nous, finalement, les Yankees?