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La science, la guerre et la politique

7 février 2014


Le livre The War on Science de Chris Turner aborde l’essentielle question du traitement de la science par l’actuel gouvernement du Canada. Les histoires qu’on y relate confortent les pires impressions qu’on pouvait avoir à ce sujet et contre lesquelles certain.es se mobilisent à juste titre. Cependant, la posture prise par l’auteur à propos du rapport entre science et politique montre en relief le problème qui a pu mener Stephen Harper au pouvoir et face auquel l’auteur reste complètement aveugle.

La guerre contre la science

La thèse de l’ouvrage est simple, le gouvernement de Stephen Harper mène une guerre contre la science empirique. Pourquoi? Parce que les faits empiriques contredisent l’idéologie qu’il défend. La proposition simple et la démonstration relativement bien menée. Toutefois, les répétitions fréquentes rendent la lecture quelque peu lassante et l’ode au « vrai Canada pur et grand » en fin d’ouvrage est d’un sirupeux indigeste. Relevons, cela dit, quelques passages croustillants.

Un des exemples centraux du livre est l’experimental lakes area (ELA) un circuit de plusieurs lacs du Nord de l’Ontario réservé à l’expérimentation sur l’eau douce. Démarré en 1968, ce projet a permis, entre autre, de comprendre l’impact de certains produits chimiques sur la faune marine et de mettre en lumière la situation des pluies acides. Ses découvertes sont au cœur de ce qui a mené à la signature du protocole de Montréal. L’ELA a longtemps été considéré comme un centre d’excellence en matière de recherche environnementale au niveau international et a également contribué à nombre de recherches importantes sur l’eau douce au Canada.

Turner oppose l’élimination du financement fédéral de 2 M$ qui a failli fermer ce centre (sauvé in extrémis par le gouvernement ontarien et des ONG) et l’effort de 8 M$ de l’Agence du revenu du Canada pour vérifier si les ONG canadiennes étaient financées par des groupes extérieurs au Canada ou si elles faisaient trop d’activités politiques. Cet exercice s’est d’ailleurs soldé par une absence complète de résultats. La comparaison est un peu grosse, mais l’image frappe : on économise au prix de faire taire des scientifiques et on dépense pour ne pas avoir à entendre les activistes.

La description de la transformation du Conseil national de recherches Canada (CNRC) présente les mêmes symptômes. Alors que l’organisme a permis des avancées importantes en matière de recherche appliquée, l’obsession du gouvernement Harper pour son orientation lucrative à court terme est en train de le détruire. Voilà qui rejoint les recherches de l’IRIS en matière de transformation des lieux de savoir en laboratoires de recherche et développement pour l’industrie et de l’influence du gouvernement fédéral sur cette question.

La tension entre science et politique

Tout au long de l’ouvrage, Turner oppose la vision du gouvernement conservateur à un autre rapport à la science qu’aurait eu le Canada et qu’il fonde sur les interventions du premier ministre Robert Borden (1911-1920). Il lie cette tradition de gouvernement à la philosophie des Lumières et à son approche de la raison comme gardienne de la bonne politique.

Pour résumer simplement : avant les décideur.es politiques tenaient compte des faits et respectaient l’autonomie des scientifiques pour les informer de faits objectifs. Bien sûr, il y avait débat sur l’interprétation des chiffres, mais tout le monde s’entendait pour avoir les données les plus fiables possibles. C’est cette tradition que le gouvernement Harper détruit, pour ses seuls intérêts partisans et ceux, bien économiques, de ses alliés de l’industrie pétrolière.

Cette proposition semble correspondre assez bien à la réalité. Je serais d’ailleurs bien à mal de la contester, l’ayant moi-même défendue ailleurs. Par contre, ce qu’elle n’explique pas c’est le pourquoi du succès de ces manœuvres. Qu’est-ce qui fait que le Canada choisit l’obscurantisme contre les Lumières? Les succès du côté obscur s’expliquent probablement par les tares du gouvernement des Lumières que célèbre The War on Science.

Un des points aveugles de l’argument de Turner, c’est la question politique. L’expertise scientifique a ses pièges, entre autre, le caractère supposément indiscutable de son discours. En prétendant n’exposer que des faits, l’expertise vide la politique de sa substance. Il n’est plus question de valeurs, d’idées ou de projets, mais bien de chiffres, de données et d’exactitudes. Où est l’espace des citoyen.nes (au sens grec du terme) ici? Nulle part. Notre amour du rationnel a rendu la politique terne.

En prétextant des positions fortes et fondées sur des valeurs profondes, le gouvernement Harper a réveillé la passion politique. En discréditant la science et la bureaucratie qui vient avec, Harper réhabilite le politique et la fougue qui l’accompagne. Bien sûr, il s’agit de pseudo-politique, c’est une politique mascarade qui ne vise en rien à stimuler le débat public, mais bien – comme l’identifie Turner avec justesse – à des fins plus mercantiles. Cependant, en prenant les airs du politique, il séduit des gens qui sentent depuis des décennies que cet espace est réservé aux expert.es.

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