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Une discrimination flagrante dans le revenu garanti aux personnes seules

31 mars 2016

  • VL
    Vivian Labrie

La machine gouvernementale est bel et bien partie en matière de revenu minimum garanti. L’épaisse documentation du budget du Québec 2016-2017 rendue publique le 17 mars dernier en donne des signes indiscutables. Et elle livre sur un plateau d’argent… un exemple patent de discrimination systémique quant au revenu présentement garanti aux personnes seules sans emploi comparativement à celui qui est garanti aux familles dans le même cas.

Voici ce qui en est.

Trois repères des débats qui se préparent

Commençons par situer les repères. Le point de départ a été plutôt bien publicisé lors du remaniement ministériel du 28 janvier 2016. François Blais a été affecté de nouveau au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale avec le mandat de se pencher « sur l’amélioration de nos outils de soutien de revenu dans la direction de l’instauration d’un revenu minimum garanti ».

Dans son Discours sur le budget, une petite phrase du ministre des Finances relie la bonification de la Prime au travail annoncée dans son budget aux « prestations sociofiscales » existantes. Cet ensemble « constituera la base des réflexions que mon collègue, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, engagera, dans le cadre du travail s’amorçant sur le revenu minimum garanti ».

Le Plan économique, qui détaille les mesures du budget en 580 pages, contient de son côté en page B.55 un discret encadré de deux paragraphes qui annonce la nomination à venir d’un comité d’experts qui sera chargé d’une première évaluation de la question. Ces deux paragraphes, à lire attentivement, laissent également voir les couleurs pro « incitation au travail » qu’on envisage pour ces travaux.

C’est toutefois dans un troisième document, un fascicule complémentaire comme il s’en publie souvent, qu’on trouve pour ainsi dire un premier cahier des charges de ce qui sera à l’étude dans ce projet. Ce document, intitulé Régime québécois de soutien du revenu, fait le point sur l’état des protections fédérales et québécoises qui garantissent les revenus des ménages au Québec. Même si certaines des données qui y sont présentées se trouvent modifiées par les nouvelles mesures du budget fédéral venu quelques jours plus tard, ce cahier sera fort utile à ceux et celles qui voudront se préparer aux débats à venir dans les prochains mois. À tout le moins, il dessine le terrain du pacte social et fiscal à reconsidérer pour une meilleure garantie des revenus des ménages.

Ce faisant, ce cahier présente noir sur blanc, mais sans la mettre en évidence ni même la relever, une importante incongruité dont il faudra tenir compte attentivement dans ces débats. Il s’agit des revenus présentement garantis aux ménages sans revenu de travail.

Une discrimination systémique envers les personnes seules

Toute discussion sur les garanties de revenu suppose de comparer le revenu qu’on obtient soi-même par son travail et ses placements au revenu dont on dispose après impôts et transferts. Elle suppose aussi d’aller voir ce qui est garanti aux ménages qui n’ont pas d’autres revenus que les protections sociales pour vivre.

C’est ce que fait le document, qui nous indique par exemple en page 41, schéma à l’appui, qu’ « un couple ayant deux enfants et sans revenu de travail dispose d’une aide financière d’environ 30 000 $ ». En page 43, cette aide financière est précisée pour d’autres types de ménages et on apprend qu’« une personne seule reçoit près de 10 000 $ ».

C’est ici que le bât blesse. Tout d’abord ce « près de 10 000 $ » est une approximation gênante, puisqu’on découvre en page 47 que le revenu disponible pour une personne seule sans revenu de travail est plutôt de 9 192 $, soit plus près de 9 000 $ que de 10 000 $.

Le principal problème n’est toutefois pas là et pour l’apercevoir, il faut en connaître la clé, laquelle échappe au document.

Comme Simon Tremblay-Pepin et moi l’avons rappelé dans une note récente sur les revenus qui manquent aux ménages pour couvrir leurs besoins de base, quand on veut comparer les revenus de ménages de tailles différentes, on utilise ce qu’on appelle une échelle d’équivalence. L’échelle d’équivalence utilisée au Canada comme au Québec, par exemple pour établir les seuils de la mesure du panier de consommation (MPC), est celle de la racine carrée de la taille du ménage. Sans aller dans les détails techniques de cette méthode, qui tient compte qu’il en coûte plus cher pour vivre seulˑe qu’à plusieurs, disons simplement qu’elle suppose de diviser par deux le revenu attribué à une famille de deux adultes et deux enfants pour estimer un revenu équivalent pour une personne seule.

Nous avons maintenant la clé pour relire les données présentées dans le document budgétaire.

Si dans notre société, les protections publiques garantissent un revenu d’environ 30 000 $ à une famille de deux adultes et deux enfants sans revenu de travail, en toute équité – et en dehors même de tout argument sur la couverture des besoins de base, ce qui conduirait à des seuils plus élevés –, la même logique devrait conduire à garantir la moitié de ce revenu à une personne seule sans revenu de travail. Soit environ 15 000 $ et non 9 192 $.

La quantité de revenu garanti manquante est de l’ordre de la discrimination systémique envers une catégorie de personnes, ici les personnes seules sans emploi. Cette discrimination flagrante perdure depuis plusieurs décennies. Elle a aussi pour effet qu’on protège mieux les revenus de personnes seules situées plus haut dans l’échelle des revenus. Elle se dissimule sous des montagnes d’arguments fallacieux et préjudiciables. Comme ceux qui sont utilisés présentement autour du projet de loi 70 pour tenter de justifier la réintroduction à l’aide sociale de mesures obligatoires pour certaines catégories de prestataires sous peine de réduction de leur prestation de base, laquelle ne leur serait plus garantie.

C’est tout ça qu’il faudra revoir, clé en main, dans un système de garantie de revenus qui se tienne et qui tienne.

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