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Salaire minimum: quel prix pour la décence?

18 août 2016

  • Eve-Lyne Couturier

Habituellement, on ne parle de salaire minimum qu’une fois par année : le 1er mai quand celui-ci augmente. C’est le moment idéal pour se demander si la hausse est suffisante ou excessive, revenir sur son histoire et son évolution, se questionner si c’est encore une mesure pertinente.

Puis, on oublie les emplois précaires, les experts retournent à leurs emplois bien payés et les journalistes passent à un autre sujet. Et pourtant, nous voici au mois d’août à en débattre encore sur toutes les tribunes. Profitons-en!

Ce regain d’intérêt s’explique de plusieurs manières. D’abord, il y a nos voisins du sud qui ont connu dans les dernières années des vagues de mobilisations pour que le salaire minimum augmente à 15$/h. Et chose rare : cette lutte a porté fruit. Les villes de Seattle, San Francisco, Los Angeles et plusieurs autres en Californie ont commencé à augmenter le salaire minimum graduellement en vue d’arriver au fameux 15$/h. Rappelons que le salaire minimum fédéral aux États-Unis est de 7,25$/h, à l’exception des salariés qui reçoivent un pourboire qui peuvent avoir un taux aussi bas que 2,13$/h… Difficile d’imaginer sortir de la pauvreté en gagnant si peu d’argent…

D’autre part, l’augmentation du salaire minimum s’est trouvée un nouveau champion en la personne d’Alexandre Taillefer, homme d’affaires et ancien dragon. Lors du Forum social mondial, il est allé défendre l’octroi d’une rémunération décente comme stratégie d’affaires efficace. Non seulement est-ce que le salaire minimum est une question de décence dit-il, mais cela aurait un effet bénéfique sur la productivité et la consommation locale.

De l’autre côté du ring, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) crie haut et fort que ce serait la mort de plusieurs PME. On comprendra qu’ils sont plus sensibles au compte d’épargne de leurs membres qu’à la santé physique et mentale des travailleurs précaires. Ne voulant s’impliquer dans la lutte à la pauvreté autrement qu’en créant des emplois, ils suggèrent plutôt que l’on augmente l’exemption personnelle de base, ce qui réduirait l’impôt payé sans (nécessairement) toucher les autres prestations auxquelles on a droit. Une solution facile… qui profiterait à toutes les personnes qui paient de l’impôt et non seulement aux travailleurs pauvres. Cela voudrait aussi dire moins d’argent pour l’État (à moins que la FCEI propose de compenser par une hausse de l’impôt des sociétés…?), donc une nouvelle excuse pour couper dans les programmes sociaux.

D’ailleurs, parlons-en des programmes sociaux. Quand vient le temps de calculer le salaire viable, c’est-à-dire le taux horaire qu’il faut accorder aux personnes qui travaillent à temps plein afin de leur permettre non pas de dépasser le seuil de faible revenu, mais bien de sortir durablement de la pauvreté, on se rend compte que des services publics efficaces font toute la différence. Ainsi, quand l’éducation et la santé sont gratuits, qu’on a accès à un service de garde public, un logement abordable, du transport en commun peu dispendieux et des frais de scolarité pas trop élevés, on a besoin de moins d’argent pour répondre à ses besoins.

Mais a-t-on les moyens de la décence? Peut-on se permettre de donner un salaire digne pour des emplois « non qualifiés »? Une partie de moi à envie de répondre « on s’en fout ». Avez-vous déjà travaillé à la caisse d’un magasin de détail? Debout toute la journée à sourire à des clients « qui ont toujours raison »? Dans une manufacture de textile à répéter les mêmes gestes toute la journée, tous les jours, sans vraiment de possibilité de promotion? Ces personnes souvent invisibilisées, vues comme interchangeables et réalisant un travail peu gratifiant, mais essentiel, méritent autant sinon plus leur salaire que le PDG d’une entreprise qui, oui, prend des risques, mais est aussi reconnu, respecté, fait ce qu’il choisit et aime et, s’il quitte son emploi, trouvera sûrement un nouveau défi à « sa » hauteur.

Avant qu’on me taxe d’utopiste romantique (ce que je suis un peu néanmoins), je vais donner le contrôle à une autre partie de moi, plus pragmatique celle-là. Il existe peu d’expériences où le salaire minimum a été augmenté sensiblement, et encore moins où l’objectif était d’offrir les moyens de bien vivre au bas de l’échelle. Il y a la théorie économique qui nous raconte des histoires d’horreur, et il y a la réalité qui est beaucoup plus nuancée. Si on remonte très loin, on peut penser à Henri Ford qui a choisi de réduire le prix de ses voitures tout en augmentant sensiblement les salaires de ses employés. Même si le fordisme a perdu la cote depuis, cette tactique s’est révélée efficace et est créditée comme l’une des causes de la montée de la classe moyenne. Plus récemment, à San José où le salaire minimum a été augmenté de 25% en 2013, on rapporte de très légères hausses de prix, mais de bien meilleurs salaires et une croissance de l’emploi au même niveau qu’avant. Après un an d’une première hausse de 15% à Seattle, une étude fait état de résultats plus mitigés. Le taux d’emploi et le nombre d’heures travaillées par trimestre auraient légèrement diminués par rapport à des villes comparables, mais les revenus ont bel et bien augmenté pour les travailleurs à petit salaire. Dans les deux cas, reste à voir les tendances à plus long terme.

Cela étant dit, il serait bien que les gouvernements se rappellent que leur rôle n’est pas seulement d’être pragmatique, mais aussi de créer les conditions pour une vie meilleure. Ce serait bon pour les travailleurs et travailleuses précaires, bon pour l’économie locale, bon pour l’État (plus de salaire veut dire moins de transfert et plus de taxes!), et bon pour la vie collective.

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