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Le combat des livres

27 février 2013


Le gouvernement tiendra bientôt une commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre au Québec. Cette proposition vise à baliser pendant les neuf mois suivant sa parution la capacité des détaillants de réduire le prix d’un livre. Les tenants de cette option – chez qui on retrouve des éditeurs, des distributeurs, des libraires et des auteurs – soulignent qu’elle permettra d’assurer tant la diversité des publications au Québec que la survie des petites et même grandes librairies. L’Institut économique de Montréal (IEDM) a récemment publié une note économique pour s’opposer à cette politique et Alain Dubuc, chroniqueur économique à La Presse, a aussi émis de sérieux doutes à son endroit. Qui a raison dans cette joute? Analysons la question à partir de deux angles : le prix des livres et la survie des librairies.

Le prix du livre

Messieurs Geloso et Chassin, auteurs de la note de l’IEDM, postulent qu’une réglementation du prix du livre fera augmenter celui-ci. Ils défendent cette option avec deux arguments : une série d’hypothèses liées à l’industrie du livre au Québec et une analyse de deux exemples étrangers : la France et l’Angleterre.

Pour le Québec, les deux chercheurs appliquent une méthode économique simple et éprouvée : un calcul d’élasticité. Pour expliquer les choses simplement, ils se livrent à des hypothèses sur les rabais que devront éliminer les détaillants suite à l’application d’une telle réglementation pour tenter de voir ensuite en quoi cela fera diminuer le nombre de ventes de livres. Ils postulent, par exemple, que l’ensemble des livres vendus dans les librairies indépendantes sont, en ce moment, vendus avec des rabais de 15% à 20%. Or, comme l’a fait remarquer dès la sortie de la publication de l’IEDM le collectif mentionné plus haut dont sont membres la plupart des libraires (des indépendants comme des chaînes) du Québec, les différents chiffres avancés par l’IEDM à propos des rabais que pratiqueraient les libraires sont soit totalement faux, soit largement surestimés. La démonstration est grandement remise en question avec l’infirmation des hypothèses de départ par les premiers concernés : ceux qui offriraient ces rabais nous disent qu’en fait ils ne les pratiquent pas.

Quant aux exemples français et britannique, les deux chercheurs tirent d’étonnantes conclusions.

Le secteur de l’édition français est réglementé par la loi sur le prix unique (communément appelée la loi Lang) qui instaure, entre autres, certains barèmes sur les prix du livre et les réductions qui peuvent être offertes par les détaillants. Selon MM. Geloso et Chassin, cela devrait mener à une hausse des prix. Ils s’abstiennent pourtant de mentionner qu’à l’instar du rapport Gaymard remis au gouvernement français en 2009, le chercheur Mathieu Perona (qui n’est pas un défenseur du prix unique et dont l’IEDM cite pourtant les travaux) conclut en 2010 que le prix unique du livre « ne semble pas avoir entraîné de hausse très importante du niveau général du prix des livres.»

Le Royaume-Uni avait depuis le début du 20e siècle une politique de prix unique qui fut abandonné en 1997. Les deux chercheurs de l’IEDM reconnaissent que suite à cet abandon, le prix moyen du livre y a augmenté plus vite que l’inflation, ce qui contredit leur thèse de base. Ils tentent cependant de justifier cette hausse en affirmant que c’est une augmentation du tirage des livres spécialisés qui aurait fait croître le prix global et que cette augmentation ne serait pas liée à la déréglementation. Si cette hypothèse est contestable en soi, elle arrive surtout bien difficilement à expliquer pourquoi le prix du livre en France, pourtant réglementé lui, a cru beaucoup moins vite que l’inflation, comme le signale Francis Fishwick.

Tableau 1: Croissance de l’inflation des livres et de l’ensemble des biens (1996-2007)

Inflation du prix des livres Inflation générale
Grande-Bretagne 30,3% 18,8%
France 11,9% 19,5%

Source : Fishwick, Francis, Book Prices in the UK Since the End of Resale Price Maintenance,International Journal of the Economics of Business, 2008, 15:3, p.374.

 

La survie des librairies

Les deux exemples étrangers que nous venons de voir nous fournissent aussi de bonnes indications sur l’avenir des librairies avec ou sans réglementation.

Le New York Times soulignait récemment que de 2003 à 2011, les ventes de livres en France avaient connu une hausse de 6,5%. Il est vrai que son réseau de petites librairies indépendantes voit sa part de marché fléchir lentement, mais comme le montre le New York Times (ou n’importe quelle ballade dans une ville française, à ce compte) il demeure vivant et diversifié. À l’inverse, dix ans après la fin de la réglementation du prix du livre en Grande-Bretagne, les petites librairies britanniques ont vu leur part de marché diminuer de moitié (toujours selon le même texte de Fishwick cité plus haut, p.369).

Est-ce que cela signifie qu’une réglementation du prix du livre règlera tous les problèmes auxquels le monde du livre est confronté? Non. Le monde du livre est devant de grands défis, notamment le livre numérique et la vente sur Internet. Cependant, les tentatives d’adaptation déjà en cours seront mieux à même de fonctionner si nous préservons la richesse et la diversité du milieu du livre.

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