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Faut-il choisir entre la finance et la Corée du Nord?

27 octobre 2011


Depuis quelques jours nombre d’interventions se portent à la défense de la finance ou du capitalisme, rappelant qu’ils sont synonymes de liberté et de démocratie. Que ce soit Michel Kelly-Gagnon dans les pages de La Presse, Nathalie Elgrably dans celles du Journal de Montréal ou Marcel Boyer sur les ondes de Radio-Canada le message est le même : en dehors de quelques erreurs et de quelques pommes pourries, le système capitaliste fonctionne bien en général et vouloir y apporter des changements mènerait inéluctablement au totalitarisme nord-coréen. Ces affirmations sont fondées sur trois arguments fallacieux.

1. La finance c’est nous

Selon Michel Kelly-Gagnon, la finance serait ce lieu auquel tout le monde aurait accès et qui permettrait à ceux qui veulent emprunter et à ceux qui veulent épargner de se rencontrer. En somme, nous participerions tous activement à la finance et la critiquer serait comme mordre la main qui nous nourrit.

Pourtant, il n’est pas si évident que nous y participons tous à la finance et encore moins au même niveau. Quand on observe qui participe effectivement à l’économie financière, on s’aperçoit bien vite que la finance n’est pas l’affaire de tout le monde. En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le 10% le plus riche de la population canadienne détient 80% des actions, 49% de RÉER, 42% des régimes de pensions et 68% des fonds communs de placement. À l’inverse, le 50% le plus pauvre de la population se partage 1% des actions, 6% des REER, 5% des fonds de pension et 3% des fonds commun de placement. On comprendra aisément que si l’on se penchait sur la population mondiale, les disparités sont encore plus grandes.

Bref, la finance profite d’abord à ceux qui ont les moyens et le temps d’y participer.

2. Le marché c’est la démocratie directe

Marcel Boyer affirmait tout bonnement à l’émission de Michel Lacombe que les marchés n’étaient rien d’autre que la démocratie directe. Tout le monde aurait de l’argent et chacun faisant ses choix individuels selon ses goûts et intérêts, l’économie s’organiserait « démocratiquement » selon les volontés individuelles agrégées.

Voilà une bien étonnante définition de la démocratie. En premier lieu, elle contrevient à une règle fondamentale de la démocratie, celle de l’égalité. Dès l’Antiquité la démocratie est liée au principe que nul ne peut avoir plus de pouvoir décisionnel qu’un autre. Cette règle s’est souvent traduite par « une personne, un vote ». Or, sur les marché la règle est plutôt « un dollar, un vote » ce qui nous mène tout droit au constat de Georges Orwell, selon lequel certains sont plus égaux que d’autres.

Autre aspect fondamental de la démocratie qui est absente de l’économie de marché : le dialogue. Il est inutile de parler dans un supermarché – pas étonnant d’ailleurs qu’on y remplace progressivement les caissier-es par des machines – on prend un produit et on l’achète. La démocratie exige d’échanger, de s’entendre et d’être ouvert à changer d’opinion. Au lieu d’un monde où les préférences sont définies d’avance, la démocratie postule qu’on peut être convaincu et changer d’idée.

3. Il n’y a pas d’alternatives

Reformulant pour une énième fois le mantra de Margaret Thatcher, Nathalie Elgrably lançait récemment que tout système plus « collectiviste » que le capitalisme mènerait inévitablement aux goulags. Il n’y aurait donc rien à faire d’autre que de s’adapter au système économique en place, quitte à l’améliorer ici et là devant des situations problématiques.

Pourtant l’histoire humaine est peuplée depuis ses débuts d’expériences qui ont alliées démocratie et économie. Si les tentatives de généraliser ces modèles ont été matés dans le sang (de Paris en 1871 à la Hongrie de 1956 en passant par l’Espagne de 1936) nombre d’expérience plus modestes au niveau municipal – les budgets participatifs – ou au sein d’organisations – les coopératives – montrent que démocratie et économie peuvent aller de pair. D’ailleurs, nombre d’auteurs, malheureusement méconnus ici, développent à notre époque des propositions théoriques pour alimenter ce mouvement.

Contrairement à ce qu’affirment ceux et celles que les œillères idéologiques empêchent de voir le plein potentiel de l’humanité, les indignés de Wall Street et d’ailleurs ont bien raison d’espérer de notre vie commune qu’elle offre autre chose que l’égoïsme bien calculé et la guerre économique de tous contre tous.

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