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Quelle place pour les écoles privées au Québec?

3 juin 2019


La semaine dernière, l’IRIS a publié sur son blogue un dialogue entre le Mouvement L’école ensemble et l’ancien député, M. Camil Bouchard. Dans ce texte, M. Bouchard développe une proposition qui est finalement assez simple : au lieu de chercher à combattre la présence des écoles privées, notamment en diminuant la part de leur financement public (voir cette étude qui traite du sujet), il faudrait plutôt tendre à accroître ce financement, mais sous certaines conditions. L’idée serait d’offrir un financement public à 100 % aux écoles privées qui acceptent de réduire à zéro la facture exigée des parents, de lever entièrement leur mécanisme de sélection à l’entrée et de se plier à une règle de représentation de la mixité sociale en fonction de leur territoire administratif.

Cette proposition a le mérite de relancer un débat qui, il est vrai, tourne parfois en rond. D’un côté nous avons les défenseurs de l’école privée qui souvent justifient leur position au nom de l’excellence et de la construction plus communautaire de leur offre de service; de l’autre, les adversaires de ces écoles qui indiquent en quoi celles-ci participent en fait d’une poussée importante de la ségrégation scolaire et donc des inégalités.

La proposition de M. Bouchard découle, selon son auteur, d’une recherche d’une troisième voie capable de faire bouger les termes du débat. En cela, les idées qu’il avance sont évidemment bienvenues et personne ne peut douter de l’engagement de M. Bouchard envers l’école publique et la réduction des inégalités scolaires.

Ceci dit, la proposition avancée est-elle pour autant adéquate?

Les limites du judo

Dans les faits, M. Bouchard tente une sorte de prise de judo : utiliser le mouvement même de son adversaire (ici les inégalités scolaires) pour le renverser. Peut-être qu’il est effectivement possible de rendre les écoles privées en ce point semblables aux écoles publiques (en leur imposant le même mode de financement et les mêmes règles de composition de leur cohorte étudiante), que la distinction des unes aux autres finira par s’estomper au profit d’une structuration nouvelle de l’offre éducative.

Il est toutefois permis de douter qu’une telle opération puisse se concrétiser de manière adéquate. D’abord, il est important de relever que les écoles privées conserveraient leur forme juridique actuelle, bloquant ainsi les possibilités de développement d’un réseau unitaire et bien structuré. Comment penser et opérationnaliser l’intégration de deux types d’établissements d’enseignement sans voir ressurgir rapidement des mécanismes malsains de concurrences entre chacun d’eux ? Surtout que les écoles privées financées à 100 % par des fonds publics conserveraient des avantages par rapport aux écoles publiques : elles sont généralement situées dans des territoires administratifs plus favorisés et peuvent compter sur des réseaux d’anciens élèves avec des ressources sociales et financières très avantageuses.

Plus fondamentalement, il semble que cette recherche d’une troisième voie ne soit pas adaptée à l’état de crise que traverse nos écoles. Nous ne sommes plus vraiment, ou du moins ne devrions plus être au stade du simple débat autour de la dichotomie public/privé. Il est plutôt temps de situer le débat autour d’une réflexion sur le type d’enseignement et d’éducation que nous souhaitons comme société. Pour le dire autrement, les défis actuels invitent plus à penser dans les termes de la refondation du réseau scolaire que selon une logique de réforme à la pièce. Ressaisie dans un tel contexte, l’idée de vouloir transformer les écoles privées en écoles publiques en appliquant aux premières les mêmes règles qu’aux secondes, passe à côté du débat : pour combattre le caractère inégalitaire de notre réseau d’éducation, il faut prendre le problème de la ségrégation de front. Il faut certes combattre l’écrémage qu’implique la sélection des élèves par le privé, mais il faut aussi mettre fin à la concurrence que se livrent entre elles les écoles publiques. Il faut mettre fin à la course à la « clientèle » qu’elles se livrent et à la pléthore de projets particuliers qu’elles développement en chemin.

Il peut paraître un brin archaïque de l’affirmer à notre époque, mais le Québec a en fait besoin que l’on restreigne la capacité des parents à choisir le parcours scolaire de leurs jeunes au profit d’un peu plus d’uniformité. Ici, il ne s’agit pas de défendre une conception centralisatrice de l’éducation, mais bien d’insister sur les effets égalitaires découlant de la mise en place d’une réelle école commune. Et pour que cette idée d’école commune soit autre chose qu’un vain principe, il faut s’assurer qu’elle ne soit pas percée comme une passoire.              

Crédit photo : L'aut'journal

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