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Les stages, un travail?

18 décembre 2018

  • Anne Plourde

Il y a quelques semaines, environ 54 000 étudiant.e.s de plusieurs cégeps et universités ont tenu quelques jours de grève pour revendiquer la rémunération « de tous les stages ». S’inscrivant dans une escalade des moyens de pression qui pourrait conduire à une grève générale illimitée cet hiver, cette grève fait suite à des pressions plus sectorielles (et victorieuses) exercées ces dernières années en faveur d’une rémunération des stages en psychologie et en enseignement. Inspiré.e.s par les luttes féministes pour la reconnaissance et la valorisation du travail féminin, les grévistes soutiennent que les stages sont un travail et les stagiaires, de véritables travailleuses et travailleurs. En fait, dans certains cas, même leurs futurs employeurs semblent être de cet avis.

Ainsi, un rapport publié en 2016 par l’Université du Québec sur l’organisation des stages dans le domaine de la santé et des services sociaux constate que « [c]ertains milieux adoptent des processus de sélection de stagiaires qui s’apparentent à un processus de recrutement de personnel (curriculum vitae, entrevue de sélection en groupe, entrevues individuelles, etc.). » Frôlant l’absurde, on va même parfois jusqu’à sélectionner les futur.e.s stagiaires en fonction de leur expérience de travail dans le domaine! Comme le souligne avec justesse le rapport : « C’est donc une logique de “marché du travail” qui prédomine sur une logique de formation ».

Et pourtant, le minimum de 1035 heures de stage recommandé par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec pour la formation des infirmières et les 750 heures de stages prévues au cursus des travailleuses et des travailleurs sociaux ne sont pas rémunérés. Bien sûr, on pourrait faire valoir que le personnel et les ressources nécessaires à l’encadrement des stagiaires montrent bien que leurs activités relèvent davantage de la formation que du travail. Selon le rapport de l’UQ, c’est d’ailleurs la difficulté de trouver des milieux de pratique disposés à encadrer les stagiaires et à mettre à leur disposition les ressources et le personnel nécessaires qui explique les problèmes dans le placement des stagiaires et le glissement vers la sélection des candidat.e.s.

Toujours selon ce rapport, ces difficultés se traduisent en amont par l’instauration de contingentements dans les programmes et en aval par l’allongement de la durée des études des futurs travailleuses et travailleurs du réseau socio-sanitaire, alors que nous sommes dans un contexte de pénurie de personnel, tant pour les infirmières que pour les travailleuses et les travailleurs sociaux. On est donc face à un cercle vicieux fait de pénuries de personnel et de manque de ressources, le tout aggravé par « l’insécurité organisationnelle causée par la transition vers la réforme du système » de 2015.

Or, il semblerait bien qu’une partie de la solution passe par… la rémunération des stages. C’est du moins la conclusion à laquelle on est arrivé dans le domaine de l’éducation : comme le montre l’initiative conjointe de la Commission scolaire de Montréal et de l’Université de Montréal, c’est principalement pour faire face à la pénurie d’enseignant.e.s dans le réseau scolaire qu’on a finalement accepté de rémunérer le dernier stage du cursus en pédagogie. Dans le réseau de la santé et des services sociaux, certaines initiatives locales vont dans le même sens, et pour les mêmes raisons : confrontés à une pénurie de préposé.e.s aux bénéficiaires, le CISSS de Chaudière-Appalaches et le CIUSSS de la Mauricie-et-du- Centre-du-Québec ont tous deux développé des programmes permettant la rémunération des étudiant.e.s durant leur formation.

Si des mesures ponctuelles et ciblées sont proposées pour le secteur parapublic, le gouvernement a choisi d’offrir au secteur privé de véritables solutions structurantes au problème perçu d’une pénurie de main-d’œuvre par le biais de divers programmes de financement des stages. Mentionnons notamment le crédit d’impôt pour stage en milieu de travail qui, depuis 2001, couvre dans une proportion importante les dépenses des entreprises pour le salaire et l’encadrement des stagiaires, ainsi qu’une série de nouvelles mesures annoncées dans la Stratégie nationale sur la main-d’œuvre 2018-2023.

Une étude évalue à 48 millions de dollars les dépenses liées au crédit d’impôt en 2016 (en augmentation de 73,5% depuis 2002) et à près de 100 millions de dollars sur 5 ans les mesures additionnelles de la stratégie nationale destinées au financement des stages dans le secteur privé. Quant aux stages et aux emplois dans le secteur parapublic, les montants investis dans la rémunération des stagiaires totalisaient la maigre somme de 4,6 millions de dollars en 2015-2016 (à laquelle on peut ajouter les récentes mesures destinées à financer certains stages en enseignement et en psychologie, qui devraient atteindre 21,3 millions en 2018-2019).

Le gouvernement n’hésite donc pas à investir des ressources significatives pour permettre la rémunération des stages dans le secteur privé. Il est temps pour lui d’appliquer la même médecine au secteur parapublic, et notamment au secteur de la santé et des services sociaux, d’autant plus qu’il le fait depuis longtemps pour… les médecins résident.e.s. Un document du Conseil du trésor montre en effet qu’en 2015-2016, près de 180 millions de dollars ont été consacrés à leur rémunération, auxquels s’ajoutent les gains récents obtenus suite à une menace de grève.

Bien sûr, les disparités de traitement entre les médecins et les autres catégories d’emploi se justifient difficilement. Toutefois, le cas des médecins résident.e.s peut être particulièrement inspirant pour celles et ceux qui souhaitent faire reconnaître les stages comme un travail.

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