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La démocratie malade du lobbyisme

21 février 2019


L’actualité des dernières semaines fut marquée par une série de nouvelles témoignant d’un phénomène inquiétant pour notre démocratie: des entreprises et des industries ont tenté d’influencer à la baisse, voire carrément d’échapper, aux différentes règles et normes devant les encadrer.

On apprenait, il y a deux semaines, que l’industrie pharmaceutique canadienne déployait, en ce moment, des efforts considérables pour contrer la réforme de la réglementation du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). La nouvelle politique vise à changer les règles d’évaluation de manière à cesser de comparer les prix de nos médicaments à ceux payés aux États-Unis, qui sont les plus élevés au monde. Afin d’éviter que cette nouvelle réglementation plus restrictive ne voit le jour, l’industrie pharmaceutique canadienne a même proposé de se priver volontairement de 8,6 milliards de revenus en baissant ses prix pour une période de 10 ans, en échange de l’abandon du projet d’une nouvelle politique. Rappelons que depuis longtemps, l’industrie pharmaceutique dépense largement plus en frais de marketing (ce qui inclut le lobbyisme) qu’elle ne le fait en frais de recherche et développement. Heureusement, les efforts en lobbying de l’industrie n’ont pas encore porté fruit et la nouvelle politique est toujours sur les rails.

Le mois dernier, l’industrie laitière poussait de hauts cris à la sortie du nouveau guide alimentaire canadien développé par Santé Canada, car ce dernier fut rédigé par des nutritionnistes qui ont ignoré de facto toutes études ayant été financées par l’industrie du lait, en leur préférant les données scientifiques indépendantes les plus à jour. Il semblerait toutefois que ce principe de suspicion à l’égard des études financées par l’industrie ne soit pas appliqué par tous les départements de Santé Canada. En effet, un reportage nous apprenait que le processus d’homologation de Santé Canada du glyphosate, élément actif présent dans des pesticides populaires comme le Round-up, a tenu compte de centaines d’études confidentielles financées par l’industrie agroalimentaire. Cela signifie que ces études n’ont pas fait l’objet de révisions par les pairs (ce qui permet normalement une contre vérification indépendante par d’autres scientifiques) et qu’il n’est pas possible pour le public canadien de connaître leur contenu. Qui plus est, des employés de la firme propriétaire du Round-up, Monsanto, auraient écrit eux-mêmes certains de ces articles, en tout ou en partie. L’industrie jouit ainsi d’un accès direct à l’organisme chargé de protéger le public de cette même industrie pour influencer ses décisions à l’aide de données trompeuses. Il y a clairement péril en la demeure.

Ce cas n’est pas sans rappeler celui du lanceur d’alerte Louis Robert, agronome licencié du Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). La lumière reste à faire entourant les circonstances de son congédiement. A-t-il été congédié par un haut-fonctionnaire qui a agi de son propre chef ou qui a plié sous les pressions de l’industrie? Le fait est que tout a commencé lorsque Louis Robert s’est mis à critiquer l’ingérence de l’industrie agroalimentaire dans la recherche scientifique concernant les pesticides qui se retrouvent dans nos champs, nos assiettes et notre sang.

Enfin, le cas de SNC-Lavalin démontre que l’influence des plus grandes entreprises peut même prendre la forme de pressions visant à rendre poreuse la frontière normalement étanche entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Un reportage de Radio-Canada révélait que « Depuis 2017, des représentants de la firme de génie montréalaise ont eu au moins une cinquantaine de rencontres en matière de « justice » et « d’application de la loi » avec des responsables gouvernementaux et des parlementaires, selon le registre fédéral des lobbyistes. Quatorze de ces rencontres ont eu lieu avec des membres du bureau du premier ministre. »

Ces quelques cas ne sont malheureusement pas isolés ; ils sont plutôt la norme. Ils sont le résultat que l’on peut attendre d’une culture des affaires où tout est une question de coûts-bénéfices et de calculs des risques de se faire prendre versus les gains espérés de procédés douteux, voire carrément illégaux. Tous ces cas ne représentent par ailleurs que la pointe de l’iceberg, puisqu’ils ne sont que ceux où la magouille fut révélée au grand jour. La majorité des activités de lobbying restent ignorées du grand public, tout comme les complots corporatifs visant à créer des cartels (comme celui du pain l’an dernier) ou à tromper les organismes de régulation (pensons au scandale des moteurs diesel). La vigilance des citoyen-ne-s, épaulé-e-s par des journalistes critiques, est plus que jamais de mise.

Crédit photo : John Devolle

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