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Environnement : quand Trudeau contourne les questions

24 octobre 2018

  • Bertrand Schepper

Lors de son passage à l’émission Tout Le Monde en Parle dimanche dernier, le premier ministre Justin Trudeau s’est érigé en défenseur de l’environnement lorsqu’il a expliqué que son gouvernement disposait d’un plan qui allait lui permettre d’atteindre les cibles de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) pour 2030. À un an des élections fédérales, cette annonce a de quoi surprendre. Décortiquons cette déclaration.

De quelles cibles parle-t-on ?

En 2015, l’objectif du gouvernement Trudeau était de réduire les émissions de GES de 30 % d’ici 2030. Cet objectif était calqué sur celui du gouvernement Harper qui, suite au retrait des accords de Kyoto, s’était donné une cible beaucoup plus facile à atteindre. Par contre, même si cette cible se veut être plus facile à atteindre, il n’en reste pas moins que l’objectif visé pour 2030, tel que dicté par les accords de Paris, est de 517 mégatonnes de CO2, alors qu’en 2015, le Canada générait 722 mégatonnes de CO2 .

Émissions de mégatonnes de GES réelles et projection d’émissions au Canada (1990-2030)

Sources : Gouvernement du Canada, Vérificatrice générale du Canada

Le graphique ci-haut présente les émissions de GES réelles du Canada (courbe bleue), les projections d’émission entre aujourd’hui et 2030 si aucune mesure environnementale n’est mise en oeuvre (courbe orange) et les projections d’émission si on suit le Plan Trudeau pour 2030 (courbe grise). Les points seuls représentent les objectifs en termes de GES des différents engagements internationaux auxquels le Canada avait souscrit dans le temps.

En premier lieu, on remarque qu’entre 1990 et 2006 les émissions de GES ont été globalement en hausse. Cela s’explique principalement par la hausse de la production des sables bitumineux au Canada.

Par la suite, entre 2006 et 2008, les émissions de GES ont connu une baisse qui s’explique principalement par la baisse de production au Canada liée à la crise économique. On observe ensuite une hausse concomitante à la reprise économique. Depuis, la production de GES reste plutôt stable avec des émissions se situant entre 716 et 730 mégatonnes de GES.  On est donc encore très loin du 517 mégatonnes cible. D’ailleurs, la projection intitulée « statu quo » prévoit qu’en 2030, les émissions de GES maintiendront un volume de 722 mégatonnes de CO2 si aucune mesure environnementale n’est mise en place. Pour le moment, plusieurs accords internationaux signés par le gouvernement ont été abandonnés, c’est le cas du protocole de Kyoto, ou ne seront vraisemblablement pas atteints, c’est le cas des accords de Copenhague. La déclaration de Justin Trudeau ce dimanche nous laissait donc espérer que les engagement des accords de Paris ne connaîtraient pas cette même destinée. Il ne faudrait cependant pas se réjouir trop vite.

De quel plan parle-t-on ?

Le premier ministre faisait donc référence dans son entrevue à la projection « avec ajout de mesures spécifiques », représentée par la courbe grise dans le graphique, qui en 2030 devrait permettre au Canada d’atteindre un volume d’émissions de 583 mégatonnes de GES. Ce scénario implique entre autres des investissements en transport en commun, une forme de tarification du carbone et des investissements à faible intensité de carbone.

Tout d’abord, l’ampleur de la diminution de GES prévue par cette projection laisse sous-entendre une certaine forme de pensée magique. Particulièrement si le premier ministre tient à appuyer l’exploitation des sables bitumineux en Alberta à travers l’achat de pipeline.

Par ailleurs, même en admettant que ce scénario fonctionne, le gouvernement reconnaît que ces résultats seront insuffisants pour respecter ses engagements internationaux. En effet, l’atteinte des accords de Paris nécessite que le Canada diminue ses émissions à 517 mégatonnes de GES (représenté par le point rouge sur le graphique), ce qui représente une différence de 66 mégatonnes avec la projection du gouvernement canadien. À titre de comparaison, cet écart représente à peu de choses près 80 % de l’ensemble des GES émis par le Québec en 2015.

Ainsi, lorsque monsieur Trudeau nous dit que son plan permettrait d’atteindre les objectifs environnementaux du Canada, il contredit les estimations de son propre gouvernement. Le premier ministre suppose peut-être que, dans le futur, de nouvelles politiques ou de nouvelles technologies permettront une diminution plus importante des émissions de GES. Cependant, si le passé est garant de l’avenir, une diminution drastique de l’exploitation pétrolière des sables bitumineux sera nécessaire pour permettre au Canada de respecter ses engagements. Or, le pétrole des sables bitumineux reste au centre de l’économie canadienne et dans ces conditions, il n’est pas étonnant que monsieur Trudeau reste vague sur les moyens d’atteindre ses cibles environnementales.

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