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Sur le RPR et l’assurance-qualité

17 avril 2012

  • Eric Martin

Pour tenter de mettre fin à la grève étudiante, la ministre Beauchamp a annoncé deux mesures. 1) l’instauration d’un mécanisme de remboursement proportionnel au revenu (RPR) et 2) la mise en place d’une Commission d’évaluation des universités du Québec (CEUQ), un mécanisme d’évaluation de la qualité des programmes et établissements universitaires. Or, loin d’être des concessions au mouvement étudiant, ces mesures sont prévues depuis longtemps dans le plan gouvernement, et sont des composantes importantes du projet de réorientation des finalités de l’enseignement supérieur.

Le RPR

Comme nous le montrions en 2008, le gouvernement a consulté l’économiste Claude Montmarquette, une des références privilégiées du gouvernement lorsqu’il s’agit d’élaborer de nouvelles politiques économiques. Sous sa plume, le RPR est présenté comme un moyen d’accroître les sommes qui peuvent être prélevées chez les étudiants à travers des hausses de frais de scolarité :

« Un autre avantage est que le système RPR permet d’accroître les montants de prêts ou l’endettement des étudiants. En d’autres termes, si une contribution financière supérieure est demandée aux étudiants, le RPR est le système qui facilite cette décision. Soulignons que le RPR n’entraîne pas une hausse des frais de scolarité, mais le RPR est la meilleure façon d’y faire face sans compromettre l’accessibilité aux études ».

Ce que note ici Montmarquette, c’est que l’existence d’une hausse n’est pas nécessaire pour penser le RPR. Mais qu’il se trouve drôlement utile comme instrument lorsque l’intention du gouvernement est de hausser les frais, les prêts et l’endettement étudiant. Même son de cloche au Comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études (CCAFE) :

« L’expérience étrangère montre que la mise en place d’un système RPR est souvent couplée à une hausse des frais de scolarité. Claude Montmarquette (rencontre du 17 octobre 2001 avec le CCAFE) pense, d’une part, que la hausse des frais de scolarité québécois est incontournable et que, dans ce cas, le système RPR est la meilleure forme qui soit pour en faciliter le remboursement. Il est simple de retourner l’argument : si le RPR assure une grande flexibilité de remboursement des emprunts et comme les syndicats étudiants sont favorables à l’implantation de ce système, il n’existe plus aucune barrière à l’augmentation des frais de scolarité une fois que le RPR est mis en place ».

Il faut rappeler que le RPR a été conçu par l’économiste Milton Friedman en 1955 avec comme objectif explicite de « dénationaliser (…) l’industrie (sic) de l’éducation », ce qui veut dire diminuer, voire abolir, le financement public de l’éducation pour la financer plutôt par des prêts, c’est-à-dire par l’endettement personnel.

C’est la tendance qu’on suivi l’Angleterre et l’Australie après l’instauration du RPR. Initialement, il s’agissait de rendre une première hausse des frais de scolarité acceptable en pelletant le problème en avant sous forme d’une dette à rembourser après les études. Rapidement, cependant, les universités et le gouvernement ont profité de l’existence de ce mécanisme pour augmenter à répétition les frais de scolarité. En 1998, la Grande-Bretagne pratiquait la gratuité scolaire ; plus tard, en 2012, les frais atteignent près de 15 000$ par année, et l’endettement étudiant moyen est passé de 26 000£ à 54 000£, c’est-à-dire environ 84 000$. En Australie, l’initiateur du RPR, Bruce Chapman, s’est lui-même plaint de ce que les autorités ont abusé et dépassé depuis longtemps le seuil d’endettement initialement fixé.

Comme on le voit, le RPR est loin d’être une mesure d’aide aux étudiants. Il s’agit d’un morceau essentiel d’un nouveau dispositif de financement qui repose sur l’augmentation de l’endettement étudiant. Cette apparente « concession » de la ministre Beauchamp a plutôt l’air d’un cadeau empoisonné.

La CÉUQ

La ministre s’est empressée d’accepter la proposition de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) de mettre en place une commission d’évaluation visant à assurer une « saine gestion des deniers publics » dans les universités. Encore une fois, cette apparente concession au mouvement étudiant n’en est pas une, puisque le gouvernement libéral avait déjà dans ses cartons le projet de mettre en place un mécanisme « d’assurance qualité » semblables à ceux qui prévalent en Europe dans le cadre du processus de Bologne.

Le document préparatoire de la rencontre des partenaires du 6 décembre 2010 aborde déjà le projet de remplacer le défunt Conseil des universités, aboli en 1993, par un mécanisme calqué sur les dispositifs d’assurance-qualité qui existent aux USA et en Europe :

En septembre 2009, à l’occasion des auditions de la commission parlementaire concernant le projet de loi sur la gouvernance des universités, plusieurs participants ont souligné l’intérêt que représenterait la mise en place, au Québec, d’une commission de l’enseignement supérieur. (…) Aux États-Unis, une commission de l’enseignement supérieur existe dans la plupart des États. (…) En Europe, et en vertu du Processus de Bologne, 46 États sont tenus de se doter d’agences d’assurance de la qualité des établissements d’enseignement supérieur ou de leurs programmes.

C’est pourquoi la ministre Beauchamp a mis la question suivante à l’ordre du jour de la rencontre :

« La troisième question posée aux partenaires de l’éducation, sous le thème de la performance des universités, est la suivante : Que devrait-on mettre en place pour assurer la coordination des efforts de tous les partenaires afin que les universités québécoises répondent aux standards internationaux? ».

Le 20 octobre 2011, la ministre commande, dans des délais inhabituellement courts, un avis au Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Lors des consultations menées par le Conseil, la FEUQ présente son projet de créer la CÉUQ; la FEUQ estime qu’une telle instance pourra surveiller de manière plus transparente la gestion des fonds publics dans les universités, éviter le gaspillage et la « mauvaise gestion ». Elle reste cependant très floue quant aux critères qui fonderont le nouveau processus « d’évaluation en continu » de la qualité de l’enseignement.

Dans son avis rendu en février 2012, le conseil accorde à la ministre qu’il est pertinent de réévaluer les mécanismes d’assurance-qualité au Québec, mais ne se prononce pas non plus explicitement sur les critères d’évaluation qui seront utilisés. Il émet aussi des « réserves quant aux risques possibles de dérives associés à l’assurance qualité, tels que la perte des spécificités nationales, institutionnelles et disciplinaires. C’est pourquoi il insiste sur la promotion d’une conception de l’assurance qualité qui protège de ces dérives ». Bref, le conseil s’inquiète de la tentation de recopier les modèles en vigueur à l’international, notamment en Europe, et craint que cette adaptation à l’internationalisation ou mondialisation de l’enseignement de mine l’intégrité et la spécificité du système québécois.

Le Conseil a de quoi être préoccupé, et il suffit de voir la lettre que lui avait adressé la ministre Beauchamp début octobre pour voir que l’esprit et les critères derrière la démarche s’inspirent directement du processus de Bologne et d’une conception marchande de l’enseignement supérieur, considéré comme un maillon de la chaîne de production de la valeur qui doit être animé par la même logique concurrentielle que l’entreprise privée :

« Le contexte actuel de la mondialisation de l’économie du savoir entraîne une compétition grandissante entre les États pour former et attirer une main d’oeuvre qualifiée. En tant que principaux lieux de formation de ces professionnels, les établissements d’enseignement supérieur constituent des acteurs de premier plan dans la chaîne du processus d’innovation. Comme leur performance est critique pour l’avenir des sociétés qu’ils desservent, les citoyens peuvent compter sur les mécanismes assurant la qualité des institutions et de la formation qu’elles offrent. Ces mécanismes garantissent la valeur et la comparabilité des diplômes ainsi que la compétitivité et la crédibilité des établissements afin qu’ils puissent demeurer attractifs tout en s’acquittant correctement de leur mission ».

Le 15 avril, la ministre annonce qu’elle répondra à la demande de la FEUQ et veut discuter de la création d’une commission d’évaluation des universités. Comme on le voit bien, cette concession apparente n’en est pas une. Dans le cadre du processus de Bologne qu’on nous appelle à imiter, l’instauration de mécanismes de reddition de comptes, d’évaluation de la pertinence et de la qualité de la formation est, avec la réforme du financement (hausse des frais de scolarité) et de réforme de la gouvernance, une composante essentielle du projet néolibéral de réforme de l’éducation pour l’adapter aux besoins du marché.

La réponse à La proposition de la FEUQ, qui souhaite sans doute voir l’argent public mieux géré, est dans les cartons depuis au minimum décembre 2010. Mais pour la ministre, ce n’est pas tant la « bonne gestion » que la soumission de l’enseignement à des critères de performance économique et de pertinence sur les marchés qui sont importants. Tout le problème des « mécanismes d’assurance-qualité » est de remplacer la régulation publique et historique des systèmes d’éducation par des pouvoirs d’expertise externes et des critères qui placent l’institution à la remorque des exigences à court terme de la fameuse « chaîne du processus d’innovation » et de valorisation économique. Pour éviter de soumettre le réseau universitaire a un processus lourd d’évaluation en continu des pratiques basé sur des critères extérieurs, nous avions proposé, dans un mémoire réalisé à la demande de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), que l’on fasse renaître le Conseil des universités, non pas sous la forme d’un mécanisme d’assurance-qualité, mais sous la forme d’une instance de coordination du réseau qui serait d’abord animé par des principes de défense du caractère public de l’éducation et de respect de la mission universitaire. On le voit bien, ce n’est hélas pas ce que la ministre a en tête.

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