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Des leçons à tirer de la situation financière des ménages

30 septembre 2020

  • Julia Posca

Cette pandémie n’en finit pas de nous fournir des leçons qui, souhaitons-le, inspireront la population et les décideurs publics qui comprennent l’importance de rebâtir la société et l’économie sur des bases plus viables. À ce propos, les données sur la situation financière des ménages offrent un éclairage intéressant pour comprendre certaines dimensions de l’économie capitaliste ainsi que certaines de ses faiblesses.

Au Canada, l’économie repose en grande partie sur la consommation des ménages. Cela se voit notamment grâce au produit intérieur brut (PIB), qui exprime la valeur de l’ensemble des biens et services produits au pays, et dont près de 55% étaient formés par les dépenses des ménages au 2e trimestre de 2020.

Or, le confinement du printemps, avec la fermeture de la plupart des établissements commerciaux et des entreprises qui offrent des services à la population, a eu un impact direct sur les dépenses des particuliers, tandis que les mesures d’aide gouvernementales ont eu globalement un effet à la hausse sur leurs revenus. Le résultat de cette situation exceptionnelle s’observe de plusieurs manières.

D’abord, le taux d’épargne, que l’obtient en gros en soustrayant les dépenses de consommation du revenu disponible et en divisant le chiffre obtenu par le revenu disponible, a connu une croissance fulgurante. Il a atteint 28,2% au 2e trimestre de 2020, un chiffre jamais vu depuis que Statistique Canada recueille ces données, soit depuis 1961. Depuis le début des années 2000, le taux d’épargne était toujours demeuré en dessous de 6% au Canada.

Taux d’épargne des ménages, Canada, trimestriel, 1961-2020

Source : Statistique Canada, Tableau 36-10-0112-01, Comptes courants et compte du capital – Ménages, Canada, trimestriel.

En revanche, le taux d’endettement des ménages, qui représente la dette sur le marché du crédit en proportion du revenu disponible, s’est replié pour atteindre 158% au 2e trimestre de 2020, contre 175% au 1er trimestre de 2020.

Dette sur le marché du crédit en proportion du revenu disponible, Canada, trimestriel, 1990-2020

Source : Statistique Canada, Tableau 38-10-0238-01, Sommaire du marché du crédit pour les ménages, données désaisonnalisées.

Le niveau d’endettement plus faible des ménages peut sans doute expliquer la baisse du nombre de dossiers d’insolvabilité déposés par les consommateurs qu’on observe jusqu’à maintenant. En effet, celui-ci a connu une baisse de 43% au Canada en avril 2020 par rapport au même mois de l’année dernière (et de 57% au Québec!), et il n’a que très peu augmenté par la suite.

Dossiers d’insolvabilité déposés par des consommateurs, Canada, mensuel, janvier 2019 à août 2020

Source : Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Statistiques sur l’insolvabilité au Canada, 2019 et 2020.

Cette situation pourrait bien se refléter temporairement sur les taux d’insolvabilité des consommateurs, qui était en hausse depuis la fin des années 1980 et atteignait 4,6% en Canada en 2019, contre 1,2% en 1987.

Taux annuels d’insolvabilité de consommateurs, Canada, annuel, 1987-2019

Source : Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Statistiques sur l’insolvabilité historique – annuel (à partir de 1987).

Ces quelques données nous permettent de constater que, bien que la pandémie actuelle ait causé un important ralentissement de l’économie (baisse du PIB, chute du nombre d’emplois, hausse du taux de chômage, etc.), l’aide gouvernementale a permis non seulement d’atténuer l’impact financier pour les ménages, il a même permis d’améliorer leur bilan financier – du moins pour l’instant. La baisse des dépenses y est évidemment pour quelque chose aussi, tout comme la suspension temporaire de paiements d’intérêt autorisée par certaines compagnies. Il est néanmoins frappant de se rappeler que dans les années suivant la crise de 2008, on avait au contraire vu les ratios d’endettement et les taux d’insolvabilité des ménages augmenter en moyenne, signe d’une détérioration des revenus des particuliers.

Cette situation exceptionnelle met par ailleurs en lumière le fait que le niveau de dépenses des ménages prépandémie était en moyenne trop élevé par rapport à leurs revenus. Évidemment, les revenus de certains ménages sont en temps normal trop bas au pays pour leur assurer un niveau de vie qui soit viable, et une réflexion s’impose sur les mesures à adopter pour corriger un tel déficit. Or, on ne peut plus faire l’économie d’une réflexion sur le niveau de consommation (et donc de production) qui caractérise nos sociétés. Le ralentissement économique causé par la pandémie de COVID-19 nous rappelle en effet que la vigueur de notre économie repose sur la surconsommation de ménages fortement endettés. Ce modèle représente non seulement un risque pour les ménages et pour l’économie, elle approfondit aussi d’année en année notre empreinte écologique.

On ne peut cependant croire qu’il suffira d’encourager les individus à continuer de consommer moins une fois que la crise sanitaire sera derrière nous pour que l’on change miraculeusement de paradigme. Comme l’économie est organisée autour des dépenses des ménages, et que le secteur privé voudra aussi tôt que possible retrouver le niveau de consommation antérieur à la pandémie, il faudrait plutôt dès maintenant se demander collectivement de quoi nous avons besoin pour bien vivre. Le gouvernement pourrait alors se donner le mandat de soutenir les entreprises qui veulent convertir leur production pour répondre à ces besoins essentiels, de même que les travailleuses et travailleurs qui voudraient se réorienter pour combler les besoins en main-d’œuvre de cette nouvelle économie. On pourrait en somme faire de la période actuelle une période de transition vers un modèle économique plus démocratique et plus écologique.

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