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Budget fédéral 2021-2022 : beaucoup de carburant pour rester sur place

20 avril 2021


Comme prévu, le gouvernement Trudeau continue de dépenser pour stimuler l’économie. Mais le premier budget de la ministre des Finances Chrystia Freeland n’est pas un budget progressiste pour autant. Il s’agit d’un budget typiquement libéral : il promet beaucoup, mais réalise peu. Cette fois-ci, hormis l’exception notable du programme de garderies hors Québec (et qui devrait se traduire par des compensations de l’ordre de 2 G$ pour le Québec), le budget fédéral échoue à amorcer la transformation de l’économie, se contentant d’alimenter un modèle économique désuet et non viable.

Constatons d’abord que même si le budget prévoit un déficit de 154,7 G$ en 2021-2022, il s’agit d’une réduction du budget de… 200 G$ par rapport au niveau de l’année dernière. Évidemment, l’année 2020 demeurera à jamais une année exceptionnelle (du moins, souhaitons-le…), mais les conservateurs fiscaux auront du mal à ronger l’os des dépenses excessives si le cadre budgétaire actuellement prévu par le gouvernement libéral est respecté et que le déficit est ramené dans quatre ans à peine au niveau où il était avant la pandémie.

Sur ce déficit de 154,7 G$, 49 G$ sont dus à des mesures de soutien à l’économie en raison des problèmes causés par la pandémie. La moitié de cette somme (27 G$) vise à « soutenir les Canadiens et les entreprises jusqu’à la relance », ce qui inclut notamment 10,1 G$ pour prolonger la Subvention salariale d’urgence du Canada et 12 G$ pour fournir des semaines supplémentaires ou un accès assoupli à l’assurance-emploi.

Les autres dépenses les plus importantes du plan de relance sont destinées au « renforcement des villes et des communautés » (4,6 G$) et à des « communautés autochtones plus fortes » (4,3 G$).

Il y a en outre des absences remarquées dans le budget 2021-2022 : des mesures permettant une réduction effective des GES, l’imposition accrue des grandes fortunes et des sommes adéquates pour les politiques sociales, notamment en matière de logement et pour les transferts en santé.

Un vernis vert déjà fortement écaillé

Alors que le gouvernement de Justin Trudeau se targue depuis son arrivée au pouvoir d’être le champion de l’environnement, ce budget de relance ne peut être considéré comme celui de la transition écologique. La portion du budget dédiée à « Un environnement sain pour une économie saine » ne forme que 2,4% des nouveaux investissements en 2021-2022, soit 1,2 G$. Le problème, comme c’est souvent le cas avec l’approche du gouvernement libéral en environnement, n’est pas tant ce qu’il fait, mais ce qu’il ne fait pas, soit contraindre les industries les plus polluantes et pénaliser certaines pratiques nocives pour l’environnement.

Les investissements dans le patrimoine naturel du Canada représentent la plus grosse dépense de ce volet du budget (457 M$ en 2021-2022), suivi des mesures pour maintenir le régime canadien de gestion des produits chimiques (159 M$ en 2021-2022) et de celles pour conserver les océans du Canada (158 M$ en 2021-2022). On peut dire que le reste des propositions constitue un bel exemple de saupoudrage: 100 M$ pour des solutions agricoles pour le climat, 80M$ pour des mesures de soutien pour « assurer la croissance de notre économie à zéro émission nette », 133 M$ pour des investissements divers dans la production d’énergies propres, etc. Bref, plusieurs mesures intéressantes, mais somme toute cosmétiques étant donné qu’elles évitent de s’attaquer vigoureusement à la dépendance de la société canadienne envers les énergies fossiles et l’automobile.

Une relance axée sur le care?

Une des mesures les plus attendues du budget était sans doute celle qui prévoit l’établissement d’un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Une somme de 3,0 G$ est consacrée à cette mesure en 2021-2022 (30 G$ sur 5 ans). Dans un pays où seul le Québec offre des services de garde publics à peu de frais, un tel programme est plus que bienvenu, surtout aux vues de l’impact qu’a eu la crise sanitaire sur la participation des femmes au marché du travail.

Une telle mesure est toutefois largement insuffisante pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, surtout lorsqu’on constate que de nombreux investissements prévus dans le budget iront en priorité à des secteurs économiques majoritairement masculins tels que les transports, la fabrication et les technologies numériques.

De plus, le gouvernement canadien accorde sans tambour ni trompette des sommes importantes aux politiques sécuritaires, qui contredisent l’objectif de prendre soin des autres : il augmente de 320 M$ par année sa contribution à l’OTAN et annonce 541 M$ sur cinq ans pour « l’entretien de six chasseurs et d’une frégate dans le cadre de l’Initiative pour la disponibilité opérationnelle de l’OTAN ». Il ajoute aussi 50 M$ en moyenne par année pour « moderniser » le NORAD et annonce aussi le prolongement de sa « stratégie au Moyen-Orient » pour un montant de 527 M$ en 2021-2022.

En revanche, le gouvernement investit 1,8 G$ en 2021-2022 pour financer des logements abordables, ce qui représenterait 35 660 unités nouvelles ou réparées. Étant donné la profonde crise du logement qui frappe particulièrement les régions urbaines du pays, et en sachant que l’accès au logement est un des fondements de la lutte contre la pauvreté, Ottawa aurait pu donner un coup de barre plus important pour montrer qu’il a vraiment à cœur de prendre soin de la population.

Les transferts ignorés

En santé, les provinces revendiquent depuis plusieurs mois une hausse substantielle des transferts fédéraux pour faire face à la crise sanitaire, mais le gouvernement Trudeau annonce plutôt son intention d’imposer des normes nationales aux centres de soins de longue durée. La hausse des transferts demandée par les provinces aurait représenté cette année une bonification de 5,9 G$ du financement de la santé au Québec, alors que le budget fédéral prévoit une enveloppe dérisoire de 600 M$ par année à partir de 2022-2023 (et un ridicule 2 M$ pour cette année) pour bonifier la qualité des services dans le secteur des soins de longue durée.

Personne ne peut être contre la vertu, mais on voit difficilement comment le gouvernement fédéral peut justifier une telle intrusion dans les compétences provinciales en proposant des investissements qui ne permettent pas de répondre à l’ampleur des besoins en matière de soins de longue durée. La part que recevrait le Québec s’il respecte les normes que veut imposer le gouvernement fédéral, soit moins de 140 M$ par année, représente à peine 4% des dépenses de la province dédiées à l’hébergement des personnes âgées en 2019-2020.

Néanmoins, considérant l’hécatombe qui s’est produite dans les CHSLD au Québec durant la pandémie, le gouvernement québécois ne peut nier l’urgence de rehausser radicalement la qualité des services dans ces établissements. Bien sûr, le fédéral porte sa part de responsabilité dans le sous-financement des dernières décennies en santé et il doit corriger le tir en bonifiant rapidement les transferts aux provinces dans ce secteur. Mais si le gouvernement Legault ne veut pas se faire imposer des normes par le fédéral, il n’en tient qu’à lui de prendre Justin Trudeau de vitesse. Puisque les sommes annoncées en échange du respect de ces normes ne seront disponibles qu’à partir de 2022-2023, cela laisse un an au gouvernement québécois pour adopter lui-même les normes les plus élevées, qui feront de nos centres d’hébergement des modèles à suivre pour les autres provinces plutôt que des objets de honte.

De même, face à la démission aussi inexplicable que navrante du gouvernement fédéral sur le projet d’un régime d’assurance-médicaments universel, il est plus impératif que jamais pour le Québec de revoir son propre régime hybride, inefficace et inéquitable pour le transformer en véritable programme public susceptible d’inspirer le reste du pays.

Les grandes fortunes épargnées

Alors que Justin Trudeau répétait à satiété qu’il entend gouverner en faveur « de la classe moyenne et ceux qui travaillent fort pour en faire partie », le gouvernement libéral s’obstine encore une fois à demeurer passif face au gonflement des grandes fortunes et à la croissance des inégalités. Plutôt que d’imposer adéquatement les impôts, de mettre en place un impôt sur le patrimoine ou l’héritage ou simplement d’imposer pleinement les gains en capitaux, il annonce une taxe de luxe symbolique qui rapportera à terme 145 M$ aux coffres de l’État. Cette taxe sera prélevée sur l’achat de voitures et de bateaux. Si toutefois le véhicule que vous vous êtes procuré est une voiture de 95 000 $ ou une embarcation de 245 000 $, vous évitez la nouvelle taxe puisque dans chaque cas de figure, votre achat se retrouve 5000 $ en dessous du seuil à partir duquel elle est appliquée.

Le gouvernement calcule que sa nouvelle taxe sur les services numériques rapportera quant à elle au moins 700 M$ à partir de 2022-2023. Cette taxe de 3 % est « applicable aux revenus tirés des services numériques qui dépendent des contributions en données et en contenu des utilisateurs canadiens. La taxe s’appliquerait aux grandes entreprises dont le revenu brut est d’au moins 750 millions d’euros. Elle s’appliquerait à compter du 1er janvier 2022, jusqu’à ce qu’une approche multilatérale acceptable la remplace. »

Du côté de l’évasion fiscale, le gouvernement abdique une fois de plus à toute initiative sérieuse et prévoit des entrées fiscales supplémentaires qui n’atteindront même pas 200 M$. Il annonce toutefois qu’il entend accroître ses recettes d’environ 200 M$ de plus à partir de 2023-2024 par la « prévention des stratagèmes fiscaux transfrontaliers ».

Enfin, mesures révélatrices des sommes colossales qui échappent au fisc à travers les transferts de fonds des firmes multinationales, le gouvernement compte récupérer 1,8 G$ par année à partir de 2024-2025 en « renforçant les règles sur la déductibilité des intérêts » que les entreprises utilisent à leur profit de façon à réduire l’impôt qu’ils doivent au Trésor public.

En conclusion

Le gouvernement de Justin Trudeau, bien qu’il maintienne à juste titre le cap sur la stimulation de l’économie – une approche d’ailleurs préconisée par de nombreux pays –, rate l’occasion de rompre avec un modèle économique peu viable sur les plans social et écologique. En somme, il injecte du carburant dans l’économie pour… rester sur place.

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