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Budget de la CAQ: pragmatique? Plutôt archaïque

20 avril 2019

  • Guillaume Hébert

Après le dépôt du budget du Québec le mois dernier, une illustration géniale du caricaturiste Tom Toro du New Yorker m’est revenue à l’esprit. On y voit un survivant de l’Ancien Monde, le nôtre, assis sur le sol près d’un feu avec des enfants condamnés comme lui à une vie misérable. Le complet de l’homme est en lambeaux, mais il a un regain de nostalgie en racontant le passé aux petits : « Oui, bien sûr, la planète a été détruite. Mais pour un moment merveilleux dans l’Histoire, nous sommes parvenus à créer tout plein de valeur pour les actionnaires. »

Il m’a semblé illustrer par l’absurde la voie sur laquelle s’engage le Québec alors que le nouveau gouvernement caquiste affiche de plus en plus clairement ses couleurs. D’un côté, un cumul des surplus gigantesques et de l’autre, une inaction hautement irresponsable sur des enjeux cruciaux.

D’abord, cette question des surplus. Il faut reconnaître la victoire éclatante des conservateurs fiscaux qui, un peu plus de 20 ans après être parvenus à ériger l’équilibre budgétaire en véritable dogme, ont réussi à généraliser l’idée que, pour avoir un budget équilibré, on doit en fait générer des surplus de plusieurs milliards annuellement.

En effet, ce sont bel et bien 21,1 milliards de dollars que le gouvernement compte dégager sur six ans, si on prend en considération l’exercice financier qui se termine et dont le surplus s’élève finalement à 5,6 milliards de dollars, largement au-dessus de ce que le gouvernement avait anticipé à l’automne.

On a souvent décrit François Legault comme un politicien agissant avec une mentalité d’entrepreneur.

On nous annonce maintenant des surplus comme s’il était question de rassurer des actionnaires en annonçant que les profits sont au rendez-vous.

Il se trouvait des observateurs pour décrire le premier budget Girard comme un budget de « centre gauche » comme si, dans une ère d’« extrême centre » où l’élite politique ne fait que reconduire des approches qui échouent depuis 40 ans à améliorer le bien-être de la population, le fait d’effectuer de nouvelles dépenses nous faisait immédiatement passer du côté gauche de l’échiquier politique.

Pas peur des changements climatiques

C’est ainsi que l’environnement continue de se dégrader et que nous sommes en bonne route pour rater nos cibles de réduction des gaz à effet de serre. Il faudrait un effort réel pour y parvenir. Mission impossible ?

Le déficit zéro des années 90 a fait très mal. On connaît maintenant le récit du premier ministre Lucien Bouchard se rendant discrètement à New York et jurant sur l’honneur de sabrer l’État social pour maintenir la respectabilité financière de la province aux yeux des acteurs de la haute finance. Il est navrant de constater que les changements climatiques n’intimident pas autant le premier ministre du Québec.

Quant aux besoins des Québécois, ceux des aînés sont criants alors que les manques en matière d’hébergement, de soins et services à domicile et de soutien aux proches aidants sont alarmants.

Les sommes supplémentaires annoncées dans le budget sont bienvenues, mais ne permettent pas la mise en place d’un nouveau service public aussi ambitieux que l’étaient les CPE et dont le Québec aurait besoin pour répondre à tous ces besoins.

Suivant les traces de son prédécesseur, François Legault rêve plutôt d’un ratio dette/PIB inférieur à celui de l’Ontario. Alors, il empile d’immenses surplus. La veille du budget, son ministre des Finances a enfilé des souliers de course pour « rattraper plus vite l’Ontario », un objectif bêtement comptable qui révèle surtout la persistance d’un vieux complexe vis-à-vis du voisin.

Plusieurs sont tentés de voir dans le budget du mois dernier la confirmation que le gouvernement Legault est guidé par un certain pragmatisme. Pourtant, un gouvernement aussi désinvolte face aux urgences que sont la préservation des écosystèmes et la protection des aînés, mais aussi résolu à agir sur des fixations telles que le rattrapage de l’Ontario ou le port des signes religieux, affiche bien davantage son archaïsme que du pragmatisme.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 19 avril 2019 de La Presse.

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