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À quoi bon un palmarès des cégeps?

18 février 2020


Samedi dernier, le Journal de Montréal et le Journal de Québec publiaient « avec fierté » le tout premier palmarès des cégeps, qui compare les taux de diplomation des 52 collèges publics du Québec. Alors que la date limite pour soumettre une demande d’admission au cégep approche, on dit offrir un outil d’information précieux pour aider les élèves de cinquième secondaire et leurs parents à faire leur choix.

En se basant sur le taux de diplomation de chaque collège dans les treize programmes les plus populaires (trois programmes préuniversitaires et dix programmes techniques), on nous présente treize classements censés témoigner de la performance des cégeps. Le cahier spécial comprend aussi une « fiche détaillée » de chaque établissement où on retrouve entre autres le nombre total d’étudiant·e·s de chaque établissement, leur moyenne générale au secondaire et la proportion d’étudiant·e·s en situation de handicap.

L’exercice a immédiatement été décrié, tant par la Fédération des cégeps que par les deux fédérations syndicales qui représentent les enseignants et enseignantes du collégial (la FNEEQ-CSN et la FEC-CSQ). Tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un travail réducteur, biaisé et néfaste pour le réseau des cégeps.

Le palmarès comporte plusieurs problèmes méthodologiques. On remarque que le taux de diplomation ne constitue pas un indicateur suffisant pour évaluer la réussite, tout comme il ne permet pas de témoigner de la qualité de l’enseignement ni des moyens mis en œuvre pour favoriser la réussite des étudiant·e·s.

Comparer des pommes et des oranges ?

L’absence de contextualisation des données a, à juste titre, été soulignée par plusieurs. Les cégeps sont comparés sans tenir compte de leurs réalités respectives, notamment leur taille ou le profil socioéconomique et culturel de leurs étudiant·e·s.

On sait pourtant que ces données sont importantes pour comprendre le taux de diplomation. Par exemple : provenir d’un milieu défavorisé ou avoir des parents peu scolarisés, être issu de l’immigration (et souvent avoir le français comme deuxième, troisième ou quatrième langue) sont des éléments qui peuvent affecter la réussite scolaire.

On remarque en outre que la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs amène des employeurs à recruter des jeunes qui sont encore sur les bancs d’école. Certains obtiennent ainsi un emploi dans leur domaine, sans même avoir terminé leur formation, et quittent le cégep avant l’obtention de leur diplôme.

Le contexte socioéconomique régional peut donc avoir un impact sur la diplomation de certains cégeps, mais le palmarès ne tient pas compte de cette réalité. Pas plus qu’il ne tient compte du nombre croissant d’étudiant·e·s à temps partiel.

Le portrait qu’il présente est donc très incomplet et ne permet pas de bien interpréter les données présentées.

Des données tendancieuses

À ce propos, on peut aussi se demander pourquoi les auteurs ont décidé d’indiquer la proportion d’étudiant·e·s en situation de handicap dans chaque collège. Qu’est-ce que cela est censé nous dire ?

Pour que cette information soit minimalement signifiante, il aurait notamment fallu préciser le taux de diplomation des étudiant·e·s en situation de handicap en le comparant à celui des étudiant·e·s en général. Il aurait aussi fallu spécifier la proportion d’étudiant·e·s en situation de handicap inscrit dans chacun des treize programmes ciblés et comparer leur taux de diplomation dans ces programmes à celui des autres étudiants.

Peut-être que la proportion d’étudiant·e·s en situation de handicap influence négativement le taux de diplomation, mais encore faut-il le démontrer. Car le terme « étudiant·e·s en situation de handicap » englobe une variété de situations – handicaps physiques, problèmes de santé mentale, troubles d’apprentissage, etc. – qui n’impliquent pas nécessairement des difficultés d’apprentissage ou de réussite scolaire. Mais, le palmarès ne fait pas les nuances qui s’imposent.

Outil d’information ou outil idéologique?

Selon l’éditeur et rédacteur en chef du Journal de Québec, ce classement n’est pas uniquement destiné à ceux et celles qui tentent de choisir leur futur cégep. Il s’adresse également « aux lecteurs préoccupés par le rendement du réseau des cégeps, dans lequel les contribuables investissent pas moins de deux milliards de dollars par année ».

Autrement dit, la question à laquelle il tente de répondre est : les cégeps fournissent-ils aux Québécois un bon retour sur investissement ? Et parmi eux, lesquels offrent le meilleur rendement ?

Ce discours contribue non seulement à placer les cégeps en compétition les uns avec les autres, mais aussi à faire de la formation collégiale une marchandise. La valeur de l’éducation ne se mesure toutefois pas uniquement par des taux de diplomation et de placement sur le marché du travail.

Les apprentissages qui ont lieu au cégep vont au-delà de la simple réussite académique. Pour la plupart des jeunes, la formation collégiale est aussi une occasion de découvrir qui ils sont, de développer de nouveaux intérêts, d’acquérir plus de maturité et d’autonomie, de s’émanciper de leur famille, de se faire des nouveaux amis, de s’ouvrir sur le monde, etc.

Pour certains jeunes, le chemin pour parvenir à réaliser ses apprentissages académiques et humains est un peu plus long que pour d’autres… Mais est-ce vraiment si grave ? Le problème avec ce genre de palmarès, c’est qu’on passe complètement à côté de ce qui témoigne de la véritable qualité de l’éducation.

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