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Une petite dose du poison grec, peut-être?

8 avril 2013


Benjamin Coriat et Christopher Lantenois, deux économistes membre du Collectif des économistes atterrés, ont récemment publié la deuxième partie d’une étude sur la crise grecque. Non seulement cette étude permet de rendre claire chacune des étapes traversées dans cette histoire compliquée, elle permet aussi aux auteurs de souligner le caractère idéologique des choix exercés par l’Union Européenne (UE), la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Fonds Monétaire International (FMI) dans leurs interventions conjointes en pays hellène. Cet aveuglement doctrinaire n’est pas sans rappeler quelques récentes interventions publiques de ministres bien de chez nous.

L’austère Troïka

Dans la première partie de l’étude en question, publiée en juillet 2011, les auteurs nous avaient expliqué avec force exemples la crise des dettes souveraines qui ont mené l’Europe au bord du gouffre. Dans la seconde, ils reprennent l’histoire là où ils l’avaient laissée, soit après l’échec des premiers plans de la « Troïka » (la trinité UE-BCE-FMI), pour cette fois montrer comment et pourquoi elle ne change pas et ne changera jamais ni de stratégies ni d’objectifs, en dépit des échec répétés.

Le plan proposé en juillet 2011 (après l’échec évident de ceux mis de l’avant en 2010 et 2011) se fonde sur des mesures d’austérité draconiennes et couronne le tout d’un task force devant « appuyer » Athènes dans l’application des mesures. Pourtant, cette troupe de choc échouera : les coupures ne font pas diminuer le déficit assez rapidement et la croissance ralentit.

Athènes se bute à des échéances immédiates qu’elle est incapable de satisfaire. Le nouveau plan en octobre : une proposition d’impliquer les secteurs privés (bref, demander aux banques « d’oublier volontairement » une partie de la dette qu’elles détiennent), qui en contrepartie impose (encore une fois) de lourdes conditions pour le peuple grec. Après de longues négociations, une proposition référendaire que la Troïka qualifie d’hérésie (suivant une étrange conception de la démocratie, comme nous le soulignions sur notre blogue) et la démission du premier ministre, un accord est signé en février 2012. S’ensuivent de nouvelles compressions budgétaires, une nouvelle diminution du nombre de postes dans la fonction publique, d’autres réductions des régimes de retraite, etc. Athènes doit même amender sa Constitution afin d’y graver l’idée selon laquelle le remboursement de la dette est une priorité nationale.

Mais, ça ne fonctionne pas encore. À peine trois mois plus tard, la situation économique et budgétaire athénienne est de nouveau dans une impasse, car elle s’est une fois de plus aggravée plutôt qu’améliorée. Avant de donner son accord à un nouveau report des dates butoirs des paiements, la Troïka exige… de nouvelles mesures d’austérité! Report de l’âge de la retraite, diminution des rentes de retraites, diminution de 27% des salaires des hauts fonctionnaires, licenciements de fonctionnaires et élimination des vacances, suppression de conventions collectives, etc. Encore tout un train de mesures auxquels le gouvernement grec, qui de toute évidence ne gouverne plus grand-chose, doit se conformer.

Résultats : une économie qui s’effondre et une dette de plus en plus… publique

La Troïka maintient que ses mesures d’austérité permettront de relancer l’économie grecque. Le tableau présenté par les deux économistes atterrés est passablement différent.

Graphique 1 : Évolution du PIB

SOURCE : Coriat et Lantenois, De l’Imbroglio au Chaos, Économistes Atterrés, p.25

Le graphique de gauche montre bien que l’application des plans de la Troïka a été plus négative pour l’économie grecque que la crise elle-même. Le graphique de droite montre quant à lui que l’intervention pro-austérité a fait que le crise grecque s’est davantage prolongée que celle de 1929, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

Autre constat méconnu affiché par Coriat et Lantenois : en demandant au secteur privé de faire sa part pour la restructuration de la dette grecque, la Troïka a réussi à faire diminuer légèrement la dette grecque totale (elle passera de 355 G$ en 2011 à 316 G$ en 2015), mais elle l’a surtout largement transformée en dette essentiellement publique. En effet, si les gouvernements de l’Euro, la BCE et le FMI ne détenaient que 36% de la dette grecque en 2011, ils en détiendront 85% en 2015.  Nul besoin d’ajouter qu’ils héritent aussi du risque qui y est rattaché.

Le portrait se complète avec un taux de chômage à 25% (56,6% chez les jeunes), une diminution du salaire minimum, la recrudescence de vieux problèmes de santé publique (retour du paludisme), 31% de la population en situation de pauvreté, etc.

Le fiasco des mesures d’austérité en Grèce est, effectivement, atterrant.

Au Canada et au Québec : un amour pour le poison

Malgré les enseignements que nous pourrions tirer du cas européen et la réduction des prévisions de croissance qui résulte au moins en partie de l’application des politiques d’austérité, le cap sur les mesures d’austérité est maintenu autant à Québec qu’à Ottawa.

La situation des finances publiques québécoises étant déjà presque équilibrée, les compressions sont plus modestes ici qu’ailleurs. Cependant, le ministre des Finances et de l’Économie Nicolas Marceau maintient la croissance des dépenses à un niveau beaucoup plus bas que les budgets des dix dernières années. De plus, ce procédé mène le gouvernement à opérer des coupes aussi peu avisées que dommageables, notamment celles infligées à l’aide sociale et aux garderies.

À Ottawa, la situation commence à s’apparenter à une rêverie totale. Le ministre des Finances Jim Flaherty a annoncé un déficit plus élevé de 8 G$ à celui qu’il prévoyait l’an dernier et de 2 G$ de plus que ce qu’il prévoyait en novembre. Il a d’abord annoncé qu’il n’atteindrait pas le déficit zéro avant de se raviser manifestement après s’être fait taper sur les doigts.

Obéissant aux directives politiques de son parti, Flaherty nous a donc annoncé que même si cette année il a toute la misère du monde à réduire le déficit de 7,5 G$, il le diminuera l’an prochain de 11,1 G$. Pour ce faire, il maintient ses perspectives de croissance pour 2014 et revoit à la hausse celles de l’économie à long terme, même s’il a dû revoir à la baisse (-0,4%) sa prévision pour 2013.

Ce tableau, extrait du budget fédéral, est un exemple impressionnant de wishfull thinking.

Graphique 2 : Évolution du PIB au Canada – Prévisions du Ministère des Finances

SOURCE : MINISTÈRE DES FINANCES, Plan d’action économique 2013, Ottawa, p.51.

Le ministre des Finances s’est lancé dans un important plan de compressions budgétaires dans son précédent budget et il veut diminuer le salaire des fonctionnaires lors des prochaines négociations de convention collective. Pourtant, il persiste à croire que la croissance augmentera de près de 1% l’an prochain (juste à temps pour l’aider à résorber son déficit) alors qu’elle sera à la baisse en 2013 par rapport à 2012.

La situation grecque n’est en rien comparable à celle du Canada, mais elle permet de voir que les prémisses sur lesquelles s’appuient MM. Marceau et Flaherty ne nous mèneront pas aux succès qu’ils prétendent pouvoir atteindre. Au final, c’est comme si nos deux ministres des finances nous disaient qu’il faut avaler avec empressement un peu de ce qui a tué la Grèce, et ce pour nous faire le plus grand bien. À voir les résultats qu’ils obtiennent en ce moment, on peut en douter.

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