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S’inspirer de Fermont pour repenser les municipalités rurales et éloignées?

25 octobre 2023

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L’étude sur le revenu viable hors des grands centres publiée récemment a mis en lumière une réalité incontournable des gens qui habitent en dehors des principales villes du Québec : la dépendance à la voiture. Dans les plus grandes villes, il est généralement possible de faire ses déplacements quotidiens en transport en commun. Hors des grands centres, le transport collectif est souvent défaillant, voire inexistant. Il est donc nécessaire de se doter d’une voiture, ce qui impose un lourd fardeau financier aux ménages. À la fois pour aider les gens à sortir de la pauvreté et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il paraît donc essentiel de développer le transport collectif et de réaménager nos milieux de vie pour faciliter les déplacements sans voiture.

Mais est-ce réellement possible d’atteindre ces objectifs en région rurale et éloignée? Dans des régions comme la Côte-Nord, la Gaspésie et l’Abitibi-Témiscamingue, les autorités publiques qui veulent réduire la dépendance à la voiture font face à des défis importants : grandes distances à parcourir, manque d’infrastructures de transport, étalement urbain, habitudes bien ancrées des résident·e·s, etc. La ville de Fermont offre cependant un exemple intéressant de municipalité éloignée où il est possible de vivre presque sans voiture.

L’exemple de Fermont

Fermont est une ville minière d’environ 2 400 habitant·e·s située à 500 kilomètres au nord de Sept-Îles, qui est la ville québécoise la plus proche, et à 30 kilomètres de Labrador City et Wabush, villes jumelles qui sont elles-mêmes à des centaines de kilomètres de la ville suivante. La densité de population de la ville de Fermont est près de deux fois supérieure à celle d’une ville de même envergure du sud du Québec. Une des particularités de cette localité nord-côtière est son « mur-écran », une infrastructure conçue pour protéger la ville du vent du nord. Le mur-écran abrite plus de 300 logements et est situé à 15 minutes de marche ou moins de la quasi-totalité des résidences de Fermont. Il contient aussi une école primaire et secondaire, un centre hospitalier, une épicerie, des magasins, deux restaurants, une piscine, une patinoire et les bureaux de plusieurs organisations, dont ceux de la municipalité et de la Sûreté du Québec. Bref, presque tous les services et les commerces de la ville sont rassemblés à l’intérieur du mur. Il est donc possible d’effectuer ses achats, d’accéder à des services et de se rendre au travail à pied.

L’aménagement urbain facilite d’ailleurs les déplacements piétons. Au pied du mur, on trouve plusieurs voies piétonnes. Des sentiers pédestres sont aménagés dans des petits parcs dispersés à travers la ville. Des mesures ont aussi été mises en place pour favoriser la sécurité des passant·e·s. Dans la plupart des rues, la limite de vitesse est fixée à 30 km/h et des bandes cyclables longent la voie. Les concepteurs ont tenté d’éviter les longues pistes droites pour limiter les excès de vitesse. De plus, presque toutes les intersections sont en forme de « T » au lieu d’être des carrefours en croix, ce qui réduit les risques de collision.

Un service d’autobus gratuit permet d’accéder aux sites des deux entreprises minières, les principaux employeurs de la communauté. Beaucoup d’habitant·e·s de Fermont se rendent à Labrador City et à Wabush pour faire certains achats (à la quincaillerie, par exemple) ou pour accéder à l’aéroport. Bon nombre d’entre eux et elles utilisent aussi une voiture pour se déplacer ailleurs au Québec, que ce soit pour les vacances ou pour visiter leur famille et leurs ami·e·s. C’est pourquoi les résident·e·s peuvent difficilement se passer complètement d’une auto. Néanmoins, dans le calcul du revenu viable, le fait de pouvoir fonctionner à Fermont avec une seule voiture au lieu de deux équivaut pour les familles de deux adultes et deux enfants à une économie de plus de 8 000$ par année par rapport aux autres municipalités de la Côte-Nord. Pour réduire encore plus la dépendance à la voiture à Fermont, un service de navette ou d’autobus pourrait être mis en place afin de relier la ville à Labrador City et à Wabush. Il serait aussi possible de permettre l’embarquement de passagers et de passagères à bord des trains qui transportent le minerai de fer. Les deux mesures ont déjà eu cours par le passé.

Fermont est donc déjà pratiquement une « ville 15 minutes ». Ce concept en vogue vise à créer des quartiers ou des villes où l’organisation de l’espace permet aux habitant·e·s de se rendre à leurs principales destinations en moins d’un quart d’heure de marche ou de vélo. Une « ville 15 minutes » offre en principe une meilleure qualité de vie parce qu’elle favorise les saines habitudes de vie, réduit la pollution et fait économiser du temps.

Éloge de la planification

Bien sûr, il ne s’agit pas d’idéaliser Fermont, qui connaît plusieurs problèmes sérieux, dont la pénurie de logements et d’importantes inégalités de revenu entre les hommes et les femmes. Il s’agit encore moins d’encenser l’industrie minière qui a été au cœur de la création de la ville. On sait que les villes minières sont vulnérables aux fluctuations du prix des métaux sur les marchés mondiaux, ce qui peut mener à des changements démographiques abrupts, voire à la fermeture d’une ville, comme l’ont appris à leurs dépens les citoyen·ne·s de la ville de Gagnon, aujourd’hui disparue. On sait aussi que les retombées économiques de l’industrie minière sont surestimées et que son bilan environnemental est lourd : les trois mines qui font rouler l’économie de Fermont font d’ailleurs partie des 93 entreprises qui émettent le plus de gaz à effet de serre au Québec.

Là où Fermont fait figure de modèle, c’est dans les efforts qui ont été faits dès sa création pour concevoir un milieu de vie où posséder une voiture peut être un choix, et non une contrainte. En s’inspirant des meilleures pratiques d’urbanisme, les personnes responsables de l’aménagement de la ville l’ont conçue en misant sur la proximité entre les habitations et le pôle de services et d’emplois. Elles ont aussi pensé à des mesures concrètes qui rendent la marche plus agréable et plus sécuritaire.

Le modèle de Fermont ne peut pas nécessairement être repris tel quel, mais les municipalités rurales et éloignées peuvent s’en inspirer pour planifier leur développement futur. Il s’agit entre autres de limiter l’étalement urbain, de concentrer les lieux de travail au cœur de la ville et de rapprocher les résidences des services pour revitaliser les centres-villes et créer des rues principales animées. Et l’exemple de cette petite localité montre bien que loin d’être une « mode », la densification est une option possible même en dehors des grands centres.

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