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Travail des jeunes: une mise au point historique s’impose

16 août 2022

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5min


Depuis la parution des données de la CNSST sur les accidents de travail concernant les personnes mineures, de nombreux articles ont abordé le sujet polarisant du travail des enfants. Plutôt que de mettre à distance ce passé pas si lointain où les familles du Québec étaient contraintes de mettre à contribution plusieurs membres de la maisonnée afin d’arriver à joindre les deux bouts, tâchons de comprendre pourquoi les enfants travaillaient.

Jusqu’aux années 1950, de nombreux enfants participent activement à l’économie familiale. Certains exercent des emplois salariés, mais la majorité s’affaire aux travaux domestiques et agricoles. Partant de l’idée défendue par l’historien britannique E.P. Thompson selon laquelle il importe de « sauver de l’immense condescendance de la postérité » les innombrables oublié·e·s de l’histoire et de comprendre le contexte dans lequel ces individus ont évolué et fait des choix qui faisait sens en fonction de leur réalité matérielle et culturelle, un petit rappel du contexte dans lequel s’est longtemps inscrit le travail des enfants au Québec est de mise.

On tend à oublier que l’instauration de l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 14 ans date seulement de 1943 au Québec, alors que des législations similaires sont adoptées en 1882 en France, en 1891 en Ontario et en 1918 aux États-Unis. Sans obligation scolaire, le nombre d’enfants qui travaillent est significativement plus élevé au Québec que dans le reste du Canada en 1940. Ce n’est pas que les forces réformatrices canadiennes-françaises étaient moins sensibles au sort des enfants, mais il faut tout de même plusieurs décennies avant que le projet aboutisse. Partout dans le monde occidental, dès la fin du XIXe siècle, le travail des enfants et leurs conditions dans les usines choquent l’imaginaire bourgeois. Les victimes collatérales de la révolution industrielle sont en outre beaucoup plus nombreuses que les seuls enfants, mais c’est là une autre histoire.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la lenteur avec laquelle l’obligation scolaire voit le jour au Québec. La mécanisation tardive des travaux agricoles au Québec (en comparaison notamment avec l’Ontario), et donc la nécessité plus grande de main-d’œuvre, force les familles rurales à exiger une contribution importante de leurs enfants lors des moments clés des cultures tels que les semis, les foins et les récoltes. De manière générale, les garçons sont sollicités aux champs et les filles aux travaux domestiques. En ville, les bas salaires ouvriers, le chômage structurel dans plusieurs domaines d’emploi et la maladie contraignent les familles à dépendre d’un grand nombre de salarié·e·s. La participation des femmes au travail salarié implique que des enfants, essentiellement les filles, prennent le relais de l’imposante charge de travail domestique de la maisonnée. Malgré cela, il faut savoir que la majorité des enfants fréquentaient l’école, mais de façon beaucoup moins assidue que lorsque la fréquentation scolaire devient obligatoire.

Ainsi, si le gouvernement du Québec tarde à adopter l’obligation scolaire, c’est notamment parce qu’en raison de leur situation socioéconomique, beaucoup de familles ne peuvent tout simplement pas se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école pendant toute l’année scolaire. Le secteur industriel pouvait pour sa part encore se passer de la scolarisation de ses forces productives. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la conjoncture est favorable à un changement de la place des enfants dans la société. En adoptant sa loi sur la fréquentation scolaire en 1943, le gouvernement libéral d’Adélard Godbout se pose en défenseur du droit à l’éducation pour tous les enfants du Québec, à un moment où le discours de l’égalité des chances est en vogue.

Or, l’obligation est loin d’être la seule politique responsable de la forte baisse du travail infantile qui s’en suit. En 1945, les libéraux fédéraux de Mackenzie King mettent en place ce que l’historienne Dominique Marshall identifie comme « le premier programme universel de sécurité sociale », les allocations familiales. Les montants versés aux familles canadiennes pour chaque enfant de 16 ans et moins (de 5 à 8$ par mois) l’étaient à condition que les normes provinciales de fréquentation scolaire soient respectées. Ainsi, c’est la combinaison de ces deux législations qui a un effet considérable sur le travail des enfants, qu’il s’agisse du travail domestique – plus répandu encore que les autres types de travail infantile, quoique plus difficile à quantifier – ou du travail dans les champs, les entreprises familiales ou les usines.

La majorité des acteurs sociaux étaient favorables à la mise en place de l’obligation scolaire dans les années 1940. Le mouvement ouvrier, qui n’y avait jamais été hostile, était particulièrement satisfait qu’une telle politique voie le jour alors que la démobilisation allait ramener au pays un grand nombre de travailleurs, et que la législation assurait que les enfants ne seraient pas en compétition avec les hommes pour le travail. Le mouvement féministe, à l’aube de la première participation des femmes au scrutin provincial, était également favorable à l’obligation qui permettrait d’améliorer le sort des enfants. Les allocations familiales, elles, venaient d’une part améliorer les conditions matérielles des familles dont les femmes étaient gardiennes, et permettaient également d’apaiser les tensions entre le capital et le travail dans un contexte où la majorité des salariés ne parvenaient pas à faire vivre dignement leur famille.

La place des enfants dans la société et les familles a certes beaucoup changé, mais tout porte à croire qu’encore aujourd’hui, si les jeunes travaillent, c’est essentiellement pour répondre à des besoins économiques, que ce soit les leurs ou ceux de leurs familles. Instaurer un âge minimum peut permettre de réduire le travail infantile, mais l’histoire montre que les incitatifs, comme les allocations familiales, sont au moins aussi efficaces que les contraintes. C’est donc peut-être davantage sur l’adoption de politiques sociales répondant adéquatement aux besoins socioéconomiques des familles qu’il faut miser pour y remédier.

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2 comments

  1. Si les familles ne pouvaient pas se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école pendant toute l’année scolaire pourquoi le gouvernement du Québec n’a pas initié une loi prévoyant la gratuité de l’internat pour les enfants démunis?
    Le fédéral l’a fait pour les autochtones du début du siècle.
    Combien couterait une année d’internat?

  2. Comment ça, “ce passé pas si lointain où les familles du Québec étaient contraintes de mettre à contribution plusieurs membres de la maisonnée afin d’arriver à joindre les deux bouts”??? On y est retombé, et bien avant 2020!

    On a tout fait pour exclure les enfants de la société jusqu’à 18 ans dans la loi… Excluant le permis de conduire!

    Donner à tous un accès certain aux biens premiers semble être fondamental… Tout comme de s’assurer que toute activité financière ou commerciale à l’intérieur du territoire soit au service du Peuple.

    Encore faut-il que le bien-être de tous, enfants inclus, soit confirmé dans les faits.
    Là, on se retrouve devant le mur de l’ignorance, celui de l’égocentrisme, ou les deux!

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