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Soyons prudents : dépensons !

28 juin 2018

  • Julia Posca

Le Rapport mensuel des opérations financières publié vendredi dernier par le ministère des Finances du Québec a révélé que le gouvernement provincial terminait l’année 2017-2018 avec un confortable excédent budgétaire de 2,4 milliards de dollars. Avant le versement réglementaire au Fonds des générations, il s’élevait même à 4,66 milliards de dollars. Une partie de ce surplus sera redirigé vers la réserve de stabilisation, un coussin financier mis en place en 2009 pour aider le gouvernement en cas de choc économique.

On connaît maintenant le refrain : l’austérité budgétaire était un passage obligé pour préserver la capacité financière future de la province, et l’état actuel des finances publiques attesterait de la pertinence de cette approche. Le ministre des Finances Carlos Leitao s’est ainsi vanté du succès de ses mesures pour relancer l’économie québécoise et de la prudence dont a fait preuve son gouvernement.

En cas de perturbation majeure, par exemple une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, « le Québec, a-t-il ajouté, serait en meilleure position que les autres provinces pour faire face à une telle éventualité, parce que nous avons dégagé assez de marge de manœuvre pour passer au travers. »

L’enthousiasme de M. Leitao mérite d’être nuancé. D’une part, c’est davantage la reprise économique américaine qui a favorisé depuis 2016 l’économie canadienne et québécoise, dont la relance a été freinée par les politiques de restriction budgétaire. Dans une étude publiée la semaine dernière, Raphaël Langevin et Emmanuel Guay montrent en effet « que les politiques de restriction budgétaire ayant été employées [dans les quinze dernières années] ont eu un impact négatif sur la croissance économique, les investissements privés et le revenu disponible des individus. »

En revanche, les finances publiques ont bénéficié dans les deux dernières années de la hausse des transferts fédéraux, ainsi que de la faiblesse des taux d’intérêt appliqués sur la dette du Québec, deux facteurs sur lesquels le ministre des Finances n’a pas directement d’emprise.

Bien sûr, si nos décideurs publics étaient d’abord motivés par le souci d’améliorer le sort de la population – plutôt que de faire plaisir aux agences de notation –, ils pourraient utiliser l’État afin d’influencer positivement le cours de l’économie. Il faudrait alors qu’ils reconnaissent qu’une partie des risques qui pèsent sur l’économie québécoise découlent du caractère intégré de l’économie mondiale. Les crises économiques se développent tel un jeu de domino, entraînant, lorsque déclenchées, une chaîne d’acteurs fortement interreliés.

Une gestion prudente des finances publiques devrait en ce sens s’appuyer sur une politique économique ayant pour objectif de diminuer la dépendance de l’économie québécoise envers les marchés internationaux – une proposition qui mériterait sans aucun doute d’être analysée plus avant –, et ce, pour au moins deux autres raisons :

Premièrement, l’intégration de l’économie nord-américaine n’a pas profité aux salariés du Canada, comme l’ont montré plus tôt ce mois-ci Alexandre Bégin, Mathieu Dufour et Olivier Viger Beaudin à travers une analyse de l’impact de l’ALENA. L’accord n’a pas non plus eu d’effet considérable sur la croissance et la productivité de l’économie, ce qui nous permet de douter de l’efficacité du libre-échange pour créer de la richesse pour tous et toutes.

Deuxièmement, l’ampleur des efforts que nous devons mettre en œuvre afin d’atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre nous oblige à relocaliser notre économie afin de limiter le transport de marchandises et les émissions liées à l’utilisation de carburant d’origine fossile. Le gouvernement peut utiliser les outils financiers à sa disposition pour stimuler ce grand chantier de conversion économique. Une transformation d’une telle ampleur est indispensable pour réduire notre empreinte écologique et contrecarrer les changements climatiques en cours.

En somme, si Carlos Leitao (ou la personne qui lui succédera) veut vraiment gérer prudemment les finances publiques, il doit prévoir des dépenses afin d’anticiper les risques qui, sans une intervention publique, ne disparaissent pas, mais retombent comme c’est le cas actuellement sur les seules épaules des individus et des familles. En d’autres mots, la politique budgétaire devrait avoir pour objectif non pas de satisfaire les marchés financiers et les entreprises multinationales, mais de soutenir le revenu de la population québécoise tout en protégeant l’environnement dont dépend le bien-être des générations futures.

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