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Que faire contre la crise du logement?

4 juillet 2019

  • JP
    Jérémy Paquet

Depuis quelque temps, plusieurs intervenants sonnent l’alarme quant à la situation du logement à Montréal, mais aussi dans plusieurs villes du Québec telles que Laval, Longueuil, Sherbrooke ou Gatineau. On considère que la situation du marché locatif est à l’équilibre lorsque le taux d’inoccupation atteint 3 %. Or, dans la métropole, le taux d’inoccupation se situe désormais à 1,9 %. Entre 2000 à 2012, le prix moyen des loyers a crû en moyenne annuellement de 0,6 %, tandis qu’entre 2013 et 2017, ce chiffre est monté à 1,7 %, en dépit d’un marché revenu à l’équilibre[1].

Plusieurs phénomènes nouveaux exacerbent le problème de la hausse rapide des loyers, comme la progression de la gentrification, la popularité des plateformes locatives temporaires comme Airbnb et l’augmentation des investissements spéculatifs étrangers. À cela s’ajoute le retard considérable qu’a pris la construction de logements sociaux et abordables. Alors que le nombre de condos et de logements en copropriété en construction a explosé dans les dernières années, 3562 unités de logements sociaux annoncées avant 2017 n’ont toujours pas été construites[1]. La faible quantité de logements sociaux fait croître la demande sur le marché locatif et par conséquent fait augmenter les prix.

La mairesse Valérie Plante a déclaré qu’il n’y avait pas de crise du logement à Montréal, une déclaration sans doute difficile à digérer pour plus de 180 ménages qui n’avaient toujours pas trouvé de logement le 2 juillet[2]. La principale proposition de son administration sur la question du logement social, le règlement 20-20-20, soulève par ailleurs des questionnements. Nous y reviendrons.

Demandons-nous d’abord : que peut faire une ville aux prises avec une crise du logement?

C’est à ce cette question qu’a tenté de répondre en Colombie-Britannique Affordable BC, une initiative lancée par un syndicat et qui cherche à rendre accessibles à la population locale des logements qui répondent à ses besoins dans un contexte de crise du logement sans précédent. À Vancouver, le taux d’inoccupation était en novembre à 0,8 %[3], le prix moyen d’un appartement d’une chambre était de 2100 $ et de 3260 $ pour un appartement avec 2 chambres[4]. Affordable BC considère que les régulations laxistes et le mauvais zonage sont les principales causes du problème et cherche à régler la crise en proposant un plan d’action axé sur les outils réglementaires. Ce plan comporte deux volets, un pour les municipalités et un pour le gouvernement provincial. Tournons-nous vers le volet municipal et voyons si certaines des idées de celui-ci seraient applicables à Montréal.

Le seuil d’abordabilité à 30 % du revenu

Le but principal de la formule 30 % est de moderniser la notion de logement abordable. Selon les experts de la question du logement, un logement est abordable quand il coûte 30 % ou moins du revenu du ménage avant impôt. Cependant, la notion de logement abordable utilisée par certains gouvernements locaux est basée sur les moyennes actuelles des prix du logement, qui sont gonflés par la spéculation immobilière. L’objectif est donc que la référence soit le revenu, et non pas le prix du marché.

À Montréal, la nouvelle stratégie 20-20-20 présentée par la Mairesse apparaît comme un retour en arrière. Selon la stratégie d’inclusion de 2005 de l’ancien maire Gérald Tremblay, un logement était considéré abordable lorsque son loyer ou son hypothèque mensuelle (incluant les taxes foncières et les frais de chauffage) ne dépassait pas la capacité de payer d’un ménage donné, soit 30 % de son revenu mensuel brut[5].

Selon la stratégie 20-20-20 de la mairesse Plante, un logement est dit abordable lorsque son prix ou son loyer se situe sous les plafonds définis par le Règlement. Ces prix plafonds sont égaux ou légèrement inférieurs aux prix du marché pour des unités de conception modeste[6].

Voici la charte des prix jugés abordables par la stratégie 20-20-20 :

Source : Ville de Montréal (2019), Règlement pour une métropole mixte Montréal, métropole de l’habitation.

Le zonage locatif

En 2018, le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique a permis aux municipalités d’utiliser le zonage pour réserver certains endroits spécifiquement pour le marché locatif. Par la même loi, les gouvernements locaux peuvent définir le pourcentage d’unités dans un nouveau bâtiment dédié à la location. Affordable BC préconise l’usage de ces nouveaux pouvoirs principalement pour protéger certaines zones locatives et directement contrôler le développement immobilier.

Et Montréal? La stratégie 20-20-20 semble être un exemple plus sophistiqué de ce genre de pouvoir. Le règlement vise des cibles de 20 % pour le logement abordable, social et familial pour presque tout le territoire. Ceci étant dit, Montréal pourrait imposer des normes beaucoup plus sévères. Les échappatoires sur les interdictions de construction de condo sont un exemple de la facilité de contourner certains règlements. Ainsi, il faut que la ville de Montréal et ses municipalités adoptent des règlements plus sévères et se donnent les moyens pour la réussite de leur mise en place.

L’octroi plus rapide des permis

La longueur du processus pour l’obtention de permis est souvent mise en cause dans la crise actuelle du logement à Vancouver. Cependant, un processus plus rapide ne garantit en rien que les nouveaux logements construits seront abordables. Ainsi, Affordable BC propose de créer un système priorisant la construction de logements abordables ou sociaux afin de répondre adéquatement à la situation. Un tel système encouragerait les promoteurs cherchant un rendement sur investissement rapide à considérer cette option. De plus, l’organisme préconise d’offrir plusieurs formes d’exemptions financières pour la construction de logements sociaux ou abordables, notamment sur les coûts de développement et les taxes subséquentes, afin d’augmenter l’incitation à les construire.

Et Montréal? Il semble que ce genre de mesure ne soit pas utilisée, alors qu’il serait dans l’intérêt de la réussite de la stratégie 20-20-20 d’inclure cette option. Ladite stratégie permet aux promoteurs de se soustraire de l’obligation de construire des logements sociaux, via des contributions financières ou par la cession d’immeubles vacants ou de terrains vacants. Bien qu’il s’agisse d’une avancée considérable, Affordable BC énonce ce genre de mesure ne garantit en rien que ces montants seront réellement utilisés pour le logement social. Pour ce qui est des immeubles et terrains vacants, ceux-ci ne seront peut-être pas appropriés pour la construction de logements sociaux. Ainsi, rien ne garantit le succès de cette stratégie, mis à part l’engagement de la ville sur la question, d’autant plus que le règlement entrera en vigueur au plus tôt en 2021. Des mesures plus contraignantes comme celle proposée par Affordable BC favoriseraient la protection de l’accessibilité à des logements abordables.

La stratégie 50/50

La stratégie 50/50 consiste à forcer tous les promoteurs immobiliers, via l’usage d’outil réglementaire et de zonage, à incorporer dans leurs projets un certain pourcentage de logement social ou abordable. Ici, Affordable BC propose que 50 % de tous les projets soient dédiés à cette fin.

La stratégie 20-20-20 de l’administration Plante peut sembler plus ambitieuse à cet égard, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Affordable BC propose des règlements plus sévères. D’une part, l’organisme suggère de réguler les délais de construction pour éviter que les projets soient reportés à plus tard et éventuellement oubliés. Bien que les délais de construction de la stratégie 20-20-20 ne soient pas encore disponibles, l’histoire récente des 3562 unités de logements sociaux en retard montre qu’il pourrait y avoir des délais importants. De l’autre, comme mentionné plus haut, Affordable BC propose d’éviter les stratégies qui permettent de payer un certain montant au lieu de construire des logements sociaux ou abordables. En somme, la stratégie 50/50 est une mesure qui semble plus apte à faire croître la quantité de logements sociaux et abordables, au lieu d’offrir de nouvelles opportunités pour la spéculation.

La construction sur des terrains publics

Cette stratégie est plus complexe qu’elle ne paraît a priori. Ce ne sont d’abord pas tous les terrains publics qui sont appropriés pour le développement résidentiel. Ceux qui ne le sont pas devraient être vendus pour faire l’acquisition de terrains appropriés. Affordable BC préconise que les municipalités s’engagent dans l’acquisition stratégique de terrains, notamment en faisant l’acquisition de terrains de basse valeur, adéquats pour le logement. Ils préconisent également les expropriations avec compensation, particulièrement si le terrain ou la propriété en cause n’est pas utilisé de façon productive ou est dans un état délabré. De plus, si les municipalités n’ont pas le capital pour construire elles-mêmes, elles pourraient offrir gratuitement ou à prix modique à des promoteurs privés les terrains nécessaires pour la construction de logements sociaux ou abordables.

Cette stratégie semble pertinente pour Montréal. D’une part, selon la loi sur les cités et villes, toute municipalité a le pouvoir d’exproprier « tout bâtiment ou terrain, dont elle a besoin pour toutes fins municipales (sauf s’il fait partie du domaine public) ou servitude nécessaire à l’exécution de travaux qu’elle ordonne par règlement, procès-verbal ou ordonnance dans les limites de ses attributions[7] ». D’autre part, la superficie de terrains vacants et de lieux abandonnés à Montréal représente deux fois et demie la superficie du Mont-Royal[8]. De plus, acquérir une vaste quantité de terrains est une solution à plusieurs problèmes auxquels les arrondissements montréalais font face, dont la difficulté de certains d’entre eux à construire des bâtiments publics à cause de la rareté constante des terrains. La ville pourrait mettre une vaste quantité de terrains à l’abri de la spéculation en s’engageant activement dans le contrôle stratégique du territoire.

Les taxes de type « land value capture »

Il s’agit d’un outil de taxation qui vise à capter à travers la fiscalité une partie des augmentations de valeur immobilière après la construction d’une infrastructure publique à proximité. Cet outil est généralement associé à la construction d’infrastructures de transit. Par exemple, si un métro est construit devant une propriété, la valeur de cette propriété risque de tripler. La taxe proposée est un moyen pour une municipalité d’acquérir cette augmentation, en partie ou en totalité. La société de transport de Vancouver possède l’autorisation d’utiliser ce genre de mesure, mais n’en fait pas usage.

Ce genre d’outil n’a pas encore été utilisé au Québec et il ne semble pas que Montréal ou son agence de transport possède ce pouvoir de taxation. Cependant, cette option commence à être discutée. La Caisse de dépôt et placement du Québec a considéré de joindre à la construction du REM l’usage de cette approche pour son financement[9]. Bien qu’il s’agirait pour Montréal de financer ces nouvelles infrastructures, comme la prochaine la ligne rose, ce type de mesure mise sur un marché à la hausse, ce qui peut avoir pour effet d’exclure certaines populations de ces zones par la généralisation de prix plus élevés.

En conclusion

La solution à la crise du logement actuelle, qui risque de devenir carrément permanente, n’est pas le laissez-faire. Laissé à lui-même, le marché crée des inégalités et c’est le rôle de l’État d’y remédier. Les outils proposés dans le cadre de l’initiative Affordable BC sont des contributions intéressantes dans le contexte actuel. Au Québec, Montréal et ses arrondissements ne possèdent pas tous les leviers ou les ressources financières pour agir seuls sur le logement. L’engagement des gouvernements provinciaux et fédéraux est essentiel pour espérer mettre un terme à la crise du logement. Pour ce faire, une première étape consistera à sortir du déni, comme peine à le faire même la ministre actuelle de l’habitation Andrée Laforest qui a déclarait à son tour la semaine dernière qu’il n’y a pas de crise du logement[10].


[1] Philippe Hurteau (2017) : Marché Locatif : Des loyers toujours en hausse. IRIS.

[2] Jérôme Labbé (2019) : Québec s’engage à rattraper le retard dans la livraison de 3500 logements sociaux à Montréal. Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1152984/comite-executif-cmm-rencontre-plante-laforest-habitation

[3] Isabelle Porter, L’Habitation, cette autre pomme de discorde avec Ottawa, Le Devoir, 3 juillet 2019,

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/557897/logement-depot-de-garantie-et-logement-social

[4]Joannah Connolly (2018): The big squeeze: Vancouver rental vacancy rate tightens again. The Vancouver Courier. En ligne : https://www.vancourier.com/real-estate/the-big-squeeze-vancouver-rental-vacancy-rate-tightens-again-1.23512351

[5] Daily Hive Staff (2019): The average cost of rent in Canadian cities for March 2019 (MAP). Urbanize. En ligne : https://dailyhive.com/vancouver/average-cost-rent-canada-march-2019

[6] Ville de Montréal (2005) : Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels. En ligne : https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/librairie_fr/documents/Strategie_inclusion.pdf

[7] Ville de Montréal (2019) : Règlement pour une métropole mixte Montréal, métropole de l’habitation. En ligne : http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/habitation_fr/media/documents/reglement_metropole_mixte-document_explicatif.pdf

[9] Daphnée Hacker-B., Camille Lopez et Roberto Rocha (2018) : Terrains vacants et lieux abandonnés à Montréal : deux fois et demie la superficie du Mont Royal ! EN ligne : https://quebec.huffingtonpost.ca/2017/03/10/lieux-abandonnes-montreal-deux-fois-et-demi-la-superficie-du-mont-royal_n_14690926.html

[10] Bertrand Marotte (2018): Montreal transit agency ventures into real estate with mixed-use complex. The globe and mail. En ligne : https://www.theglobeandmail.com/real-estate/article-montreal-transit-agency-ventures-into-real-estate-with-mixed-use/

[11] Isabelle Porter (2019) : Il n’y a pas de crise du logement, selon la ministre de l’Habitation. Le devoir. En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/557507/crise-du-logement

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1 comment

  1. Bonjour,

    Comment se fait-il que même IRIS n’évoque pas le blanchiment d’argent comme étant un facteur significatif pour expliquer l’emballement du marché immobilier? Surtout qu’on a l’exemple de Vancouver et de Toronto. Parce qu’il n’y a pas de données? C’est justement une partie importante du problème. Il n’y a que des évaluations, avec des chiffres colossaux qui son cependant de sources crédibles. Comment se fait-il que personne n’évoque ce phénomène?

    Voici quelques liens d’intérêt concernant cet immense enjeu à caractère très explosif. Il est important que cet enjeu face surface sur la place publique. D’autant plus qu’on est en période électorale. Si même IRIS n’est pas disposé à y travailler, ça va ma à la shop et ça tend à démontrer une fois encore que le Québec est champion pour se laisser manger la laine sur le dos. Je vous rappelle que le logement est la principale dépense de la vaste majorités des ménages, qu’il est un vecteur majeur de redistribution de la richesse qui se fait d’en bas vers le haut et qu’à chaque 100$ de payé en trop mensuellement au profit de la spéculation, représente plus d’un milliard$ par année de richesse collective gaspillée, seulement pour Montréal.

    Voici le lien pour le rapport que le gouvernement de Colombie Britannique a commandé pour avoir un portrait de situation dans cette province, concernant le blanchiment, sortie en juin 2019. Je vous invite à aller à la page A-126 où il y a un tableau d’estimation du blanchiment au Canada, par région. Je vous invite aussi à lire l’avant dernier paragraphe de la même page qui laisse entendre que l’évaluation sur ce tableau est probablement sous estimée pour le Québec, l’Ontario et la Colombie Britannique. Pour le Qc, ça tournerait autour de 6 milliards $ par année, si on suit la projection du tableau.
    https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/housing-and-tenancy/real-estate-in-bc/combatting-money-laundering-report.pdf

    Voici le lien pour le texte publié par Transparency International Canada en décembre dernier
    https://www.tvanouvelles.ca/2020/12/06/blanchiment-dargent–quebec-doit-cesser-de-tolerer-lintolerable

    Voici un lien pour le reportage de l’émission Enquête diffusé en mars 2020 (mauvais timing malheureusement qui coïncidait avec le début de la pandémie. La première partie explique et démontre les pressions indues sur les locataires pour leur faire quitter leur logement, la deuxième partie fait la lumière sur le fait qu’on ne peut pas compter sur les courtiers en immobilier comme chiens de garde contre le blanchiment d’argent (cette partie est vraiment à voir) et la troisième partie faIt un lien avec ce qui se passe à Vancouver.
    https://ici.radio-canada.ca/tele/enquete/site/episodes/453641/immobilier-condos-maison-vancouver-montreal-toronto-courtier-immobilier-achat-prix

    Voici le lien pour un texte produit par Transparency International Canada qui réagissait à ce reportage
    https://transparencycanada.ca/news/les-rvlations-de-lmission-enqute-sur-le-blanchiment-dargent-en-montral-choquent-mais-ne-surprennent-pas-enqute-report-on-montreal-real-estate-money-laundering-shocking-but-not-surprising

    Voici le lien pour le rapport de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Qc (APCIQ) qui établi à 20 milliards 1/4 le total
    des ventes en immobilier résidentiel en 2019, un record.
    https://apciq.ca/le-marche-immobilier-de-montreal-nouveau-record-en-2019-et-poursuite-de-lactivite-en-2020/

    Voici le lien pourle rapport de l’APCIQ qui établit plus de 25 milliards le total des ventes immobilières résidentielles en 2020. 5 milliards$ (25%) de plus que l’année précédente, qui était une année record alors que tous les analystes annonçaient un ralentissement du marché à cause de la pandémie. Mais d’où vient toute cette richesse?
    https://com.apciq.ca/sam/pdf/stats/2020/stats-202012-fr.pdf

    Voici le lien d’un article où les spécialistes questionnés à ce sujet estime que l’investissement étranger n’est qu’à hauteur de 5% et que cela n’a pas d’effet spéculatif.
    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1805815/immobilier-montreal-acheteurs-etrangers-2020-2021

    Voilà, bonnes lectures

    Guillaume Dostaler
    Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve
    514-528-1634

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