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Protection du public et système professionnel: Du vœu pieux aux garanties

23 décembre 2015

  • Jennie-Laure Sully

Le 15 décembre dernier, mon collègue Guillaume Hébert et moi avons publié une note socioéconomique ayant pour titre: « Les ordres professionnels peuvent-ils garantir la protection du public? ». Ce titre n’a pas plu à M. Claude Leblond, président de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux du Québec car, nous dit-il dans une lettre (et dans cet article du Devoir), cela «laisse planer un doute sur la manière dont nous nous acquittons de notre mandat de protection du public. C’est sérieux comme sous-entendu et discriminant non seulement pour notre ordre professionnel, mais pour l’ensemble du système professionnel.». En plus de ne pas apprécier notre titre, M. Leblond déplore le «ton éditorialiste» qu’il pense déceler dans notre étude.

Je crois important de répondre publiquement à la lettre de M. Leblond en lui faisant remarquer que si près de 90% des Québécois jugent que les ordres professionnels n’ont pas pour but de protéger le public, le titre interrogatif de notre étude, loin d’aller dans le sens d’un éditorial reflétant l’opinion populaire, accorde plutôt le bénéfice du doute au système professionnel. En tant que chercheurs, nous ne pouvions pas nous arrêter à l’opinion exprimée par cette majorité de Québécois sans tenter de savoir si elle était fondée. Nous ne pouvions pas non plus prendre pour acquis, comme semble vouloir le faire l’Office des professions, qu’il ne s’agit là que d’une méconnaissance du système professionnel de la part du public. Notre démarche de recherche ne visait pas à mettre sur la sellette un ordre professionnel en particulier mais bien à fournir des données factuelles susceptibles d’alimenter le débat public au sujet de la réforme annoncée du Code des professions du Québec.

Pour ce faire, nous avons pris soin de retracer l’historique du système professionnel québécois puis avons examiné les détails de son fonctionnement. Nous avons ensuite épluché les derniers rapports annuels des 46 ordres professionnels. Nous avons par ailleurs consulté les documents de l’Office des professions, du Conseil interprofessionnel du Québec, les rapports de commissions, des mémoires, des bulletins d’information, des communiqués, etc. Le résultat est un portrait d’ensemble du système professionnel québécois duquel se dégage des problématiques que nous ne pouvions passer sous silence. Notamment, le lien entre la réserve exclusive des évaluations psychosociales en cas de mandat d’inaptitude et la création d’un marché privé pour de tels services; le cas des frais accessoires imposés par les médecins à leurs patients en dépit de leur code de déontologie et le cas de l’inaction de l’Ordre des ingénieurs face à la culture de corruption qui sévissait parmi ses membres.

Il faut reconnaître que notre étude a, comme toute étude, ses limites. Notre recherche aurait pu, par exemple, être plus exhaustive si nous avions pu obtenir des statistiques officielles concernant le traitement des plaintes du public par les ordres professionnels dans leur ensemble. Malheureusement, des statistiques du genre n’existent pas en ce moment. Il reviendrait à l’Office des professions de colliger l’information pertinente et de rendre publique de telles statistiques. En leur absence, nous ne pouvons nous fier qu’aux rapports annuels des ordres eux-mêmes et nous sommes bien embêtés d’apprendre que le Dr. Charles Bernard, président du Collège des Médecins du Québec considère que les chiffres fournis dans son rapport annuel sont si peu fiables qu’il est impossible d’en tirer des conclusions «sans avoir validé l’information à la source pour interpréter les données ». Cela dit, il nous faut rassurer le Dr Bernard et tous les lecteurs de notre note économique sur le point suivant : En ce qui concerne les frais accessoires, outre la consultation du rapport annuel du CMQ, nous avons pris soin d’obtenir des informations de personnes ayant déposé des plaintes et de leur représentant légal.

Enfin, pour revenir au titre de notre étude, rappelons que la question visait à savoir si les ordres professionnels pouvaient «garantir» la protection du public. Il ne s’agissait donc pas pour nous de juger des bonnes intentions des personnes œuvrant au sein des ordres professionnels. Le traitement déficient des plaintes du public, le rôle insuffisant de surveillance de l’Office des professions et les autres dysfonctionnements du système professionnel mis à jour dans notre étude mènent au constat de l’absence de garanties adéquates en matière de protection du public dans le système professionnel au Québec. Afin de remédier à ces problèmes, la réforme du Code des professions devra non seulement, renforcer le rôle de l’Office des professions mais également mettre les citoyens au cœur du système. Pour passer du vœu pieux aux garanties, il faudra admettre que la protection du public doit ultimement se faire avec, pour et par le public.

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