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Pour se sauver de la gentrification, la griffintownisation

15 août 2016

  • Eve-Lyne Couturier

Ainsi donc, pour l’Institut économique de Montréal (IEDM), on devrait applaudir le processus de gentrification qui affecte de nombreux quartiers montréalais. Dans un document de 850 mots qu’il publiait ce matin, l’Institut concède à demi-mot que ce phénomène peut avoir un effet sur l’accessibilité au logement… mais que ce n’est pas pour autant un problème, puisque dérèglementer le zonage permettrait de tout régler facilement. Ce qui manque à Hochelaga-Maisonneuve, le Plateau Mont-Royal ou Verdun, ce sont des tours de trente étages. Voilà, c’est réglé, on passe à un autre appel.

Premier constat : la vision de l’IEDM de la gentrification est d’une belle naïveté gentille. Il ne s’agirait que de l’afflux de familles de « classe moyenne » dans un quartier dévitalisé qui se vidait d’ores et déjà. Mais la classe moyenne de l’IEDM a beaucoup de moyens quand on voit le prix moyen des maisons dans les différents quartiers de Montréal, Toronto ou Vancouver qui sont en train de se gentrifier…  De plus, le fait que les personnes moins nanties déménagent pour diverses raisons (études, travail, famille, coût de la vie, etc.) et se font remplacer par des ménages plus riches n’indispose pas les auteurs du texte : tant pis si cela veut dire que les gens doivent habiter toujours plus loin du centre-ville, de leur travail, du lieu de leurs activités quotidiennes…

Deuxième constat : bien qu’ils effleurent l’histoire du quartier Plateau Mont-Royal, il n’est pas question ici de regarder ce qui se passe concrètement à Montréal, ou même ailleurs au Canada. On nous dit que ça fonctionne bien, que d’autres études le démontrent, laissant entendre une unanimité académique sur le sujet (ce n’est pas le cas). Toutefois, on ne nous parle ni des loyers moyens, ni du coût d’acquisition du logement, ni de la hausse du coût de la nourriture, ni du pourcentage de rétention des habitants. Pour un texte émanant d’un institut économique, il n’y a, de manière surprenante, aucun chiffre.

Troisième constat : ce qui rend un quartier attractif ne semble pas faire partie de leur réflexion puisque leur proposition pour régler le problème « collatéral » de la gentrification, soit l’augmentation du prix du logement, est tout simplement de déréglementer. Si les anciens quartiers ouvriers de Montréal ont la cote présentement, c’est entre autre à cause du charme des triplex qui font des maisons à taille humaine, partagées par plusieurs ménages et permettent un voisinage de balcons et des jeux de ruelles. Ajoutons à cela une mixité des usages, avec des commerces de proximité, des services accessibles et un réseau de transport en commun bien développé et on a tout ce qu’un étudiant, une jeune famille ou une nouvelle retraitée pourraient souhaiter. Le zonage est une part importante de cette mixité et du maintien de ce patrimoine. Pas tout le monde a envie d’habiter à Griffintown, au milieu d’un champ de tours, un quartier planifié qui a oublié l’existence des enfants et des personnes âgées (bien que ça commence à changer…).

Si pour les chercheurs de l’IEDM, la gentrification a tout positif et la réglementation tout négatif, il nous semble au contraire qu’il faut des politiques claires pour préserver et créer tout ce qu’il faut pour éviter le déplacement (et le non-remplacement) des ménages aux revenus plus modestes. Effectivement, tout le monde gagne à avoir dans son quartier des écoles sans moisissures, des parcs de qualité, des magasins diversifiés, des opportunités d’emplois et de nouveaux arrivants enthousiastes. Il est toutefois dommage qu’il semble qu’il faille attendre la gentrification pour que de telles choses arrivent près de chez-soi, au prix d’une homogénéisation de ses voisins. À quand un plan d’urbanisme qui propose des changements porteurs ailleurs que là où les jeunes professionnel·le·s commencent à s’installer?

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