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Par-delà la guignolée : l’angle mort de la philanthropie

8 décembre 2017

  • Julia Posca

La guignolée des médias est de retour comme chaque année, annonçant tristement que même une société riche comme la nôtre peine à assurer des conditions de vie décentes à l’ensemble de ses citoyennes et citoyens. L’événement, organisé en appui aux organismes qui viennent en aide aux plus pauvres, a permis l’an dernier d’amasser 3,2 millions de dollars en dons et d’aider 300 000 personnes, selon le site de l’organisme.

À ce propos, il semble que la philanthropie se porte de mieux en mieux chez nous, et ce, malgré la piètre réputation des Québécoises et des Québécois en la matière. Selon Épisode, une firme montréalaise d’experts-conseils en collecte de fonds, les Québécoises et les Québécois ont donné 252 $ en moyenne en 2016, un chiffre en hausse de 30 $ par rapport à 2013. Les dons venant de la génération Y sont ceux qui ont connu la plus forte hausse depuis 2013, signe réjouissant pour certains de l’enracinement d’une culture philanthropique au Québec. De plus, le nombre de fondations est en hausse ici comme dans le reste du Canada. Le Québec compte 2000 fondations qui se partageaient en 2015 un actif total de près de 15 G$, un chiffre qui a plus que doublé en dix ans d’après l’Institut Mallet. Le palmarès revient à la Fondation Lucie et André Chagnon, qui cumulait un actif de 1,8 G$ en 2016.

Il faut pour applaudir cette tendance faire abstraction du portrait de la croissance des inégalités dans la province. Selon les plus récentes données de Statistique Canada, le revenu après impôt et gains en capital médian du groupe de revenu du 1 % supérieur était de 205 700 $ en 2015, tandis qu’il n’était que de 28 000 $ pour le 99 % restant de la population, et n’atteignait que 17 000 $ pour le 50 % le plus pauvre.

Plus on monte dans l’échelle des revenus, plus l’inégalité se creuse : le groupe qui forme le 0,1 % supérieur a touché un revenu médian de 721 400 $, et le 0,01 % a engrangé la coquette somme de 2 650 900 $. Et comme l’illustre le graphique ci-bas, ces écarts n’ont fait que s’approfondir depuis trente ans.

Avant impôt et transferts, le groupe de revenu du 1 % supérieur au Québec touche la même portion des revenus (10 %) que la moitié la plus pauvre de la population. Pendant ce temps, la part d’impôt que les membres du 1% paient sur leur revenu a eu tendance à diminuer, fruit du désir des gouvernements d’alléger le fardeau fiscal des contribuables. Leur taux d’imposition effectif est passé de 36,9 % en 1982 à 30,8 % en 2015. En somme, les inégalités se creusent à mesure que s’érode – volontairement – notre capacité à redistribuer la richesse.

Dans une récente chronique, Alain Dubuc remettait pourtant en question l’« impression générale voulant que la situation des classes moyennes se détériore », sentiment sur lequel mise notamment la CAQ pour gagner la faveur de l’électorat. Il soutenait au contraire que l’augmentation des revenus dans les cinq dernières années et la croissance plus lente de l’inflation avait fait croître le pouvoir d’achat des Québécois et des Québécoises.

Or, son constat se base sur une confusion entre la classe moyenne et la moyenne, qui n’est qu’une simple mesure statistique. Regarder l’évolution d’une moyenne en situation de croissance des inégalités nous offre un aperçu tronqué de la réalité, qui comme le montrent les données sur le 1 %, est beaucoup moins rose que ce que veut le croire M. Dubuc.

Le chroniqueur nuançait toutefois son constat optimiste en soutenant que « M. Legault a tout à fait raison de vouloir améliorer le sort des familles. Mais cet enjeu est de nature économique. Malgré la croissance forte, malgré la création d’emplois, le Québec n’arrive pas à rattraper le reste du Canada. »

Il se trouve que sur ce point aussi, les données sur le 1 % nous révèlent des choses intéressantes. Comme on peut le voir au graphique ci-bas, lorsque l’on compare le Québec avec le Canada ou avec l’Ontario, les revenus du 99 % inférieur de la population sont comparables. C’est pour le 1 % supérieur que le portrait change.

L’écart est de 31 % entre les 1 % québécois et ontarien, mais de seulement 6 % entre le revenu du 99 % des deux provinces voisines. Lorsque l’on considère les plus pauvres, c’est même au Québec que l’on s’en tire mieux. L’écart entre la moyenne des revenus des deux provinces s’expliquerait ainsi parce que les riches Ontariens sont plus riches que les riches Québécois. L’importance du secteur financier à Toronto, où les salaires sont très élevés, est probablement en partie responsable de ces divergences.

Que la classe moyenne, prise à la gorge financièrement, trouve tout de même les moyens de donner modestement aux plus pauvres à l’occasion de la guignolée est sans doute le signe réconfortant que notre société, qui carbure à la compétition et applaudit l’appât du gain, n’est pas venue à bout de la solidarité. À l’inverse, que l’on se réjouisse de la progression au Québec de la culture philanthropique, qui s’alimente pourtant à même la concentration toujours plus éhontée de la richesse entre les mains d’une minorité privilégiée, est un réflexe qu’il vaudrait mieux s’attarder à combattre.

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