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Mon rêve ontarien

8 juin 2017

  • Philippe Hurteau

La semaine dernière, nous apprenions que le salaire minimum ontarien allait connaître une hausse importante et rapide. Actuellement à 11,40 $ de l’heure, il passera à 14 $ en janvier prochain et à 15 $ en 2019. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette augmentation de 32 % en tout juste 18 mois a relancé le débat de ce côté de la rivière Outaouais.

Il s’en trouve plusieurs pour rappeler que la situation au Québec est bien différente que celle en Ontario. Le coût de la vie, notamment en raison de l’immobilier, est plus élevé du côté ontarien, tandis que les politiques fiscales pour les bas salarié·e·s sont plus généreuses côté québécois. Donc, tant mieux pour les bas salarié·e·s ontariens, mais la réalité étant ce qu’elle est, il ne serait pas sage de s’en inspirer pour faire pression sur le gouvernement québécois. Afin d’aider les travailleurs pauvres, il serait plus avisé de poursuivre dans la voie des solutions fiscales, comme le proposent les lobbys patronaux.

Redistribution fiscale et redistribution salariale

Il est tout à fait juste de relever le caractère distributif du régime fiscal québécois. Pour les personnes travaillant au salaire minimum, le revenu après impôt se trouve composé en grande partie de différentes formes de transferts. Ainsi, 8 % du revenu disponible d’une personne seule travaillant 35 heures par semaine au salaire minimum sera en fait issu de transferts. Si cette personne ne travaille que 25 heures sur une base hebdomadaire, on parlera alors d’une part provenant de transferts s’élevant à 19 %.

Cette « générosité » fiscale est encore plus marquée pour les ménages avec enfant(s). Une personne monoparentale avec un enfant et travaillant 35 heures par semaine, toujours au salaire minimum, verra son revenu disponible composé à 45 % de transferts (son revenu de travail se situant à 19 565 $ et son revenu disponible à 28 505 $). Dans le cas d’un couple dont les deux parents travaillent au salaire minimum, cette part sera de 25 % et 34 % selon que le ménage compte un ou deux enfants.

Dans ce contexte, est-il vraiment justifié de demander à l’État d’en faire encore plus? Loin de moi l’idée de remettre en question la pertinence de la redistribution fiscale, mais celle-ci ne constitue qu’un élément dans l’équation de la lutte à la pauvreté. La redistribution salariale, soit les revenus que les gens vont chercher sur le marché en échange de leur travail, doit aussi faire partie des solutions envisagées. Il n’est pas surprenant que les regroupements patronaux soient tout d’un coup épris de fiscalité : ils ont bien compris que les sommes redistribuées fiscalement proviennent essentiellement de la poche des contribuables.

Relever l’exemption de base ou les salaires?

Si sur le principe l’option « salaire minimum » peut paraître la plus attrayante, est-elle la plus efficace pour autant? Une proposition en vogue consiste à rehausser l’exemption de base, soit le seuil de revenus sous lequel on ne doit pas payer d’impôt. En 2016, ce seuil était situé à 11 550 $. Il passera à 14 890 $ en 2017. Dans une étude publiée plus tôt cette année, mes collègues Pierre-Antoine Harvey et Mathieu Dufour ont pourtant déterminé que cette option est bien moins payante pour les bas salariés qu’une hausse du salaire minimum.

Pour les salariés dont le revenu annuel se situe actuellement entre 10 000 $ et 30 000 $, faire passer le salaire minimum à 15 $ ferait augmenter leurs revenus de 1 092 $ à 1 240 $ selon les cas. À l’inverse, la hausse de l’exemption de base annoncée ne rapportera à ces derniers que 55 $.

Bien entendu, une hausse substantielle du salaire minimum ne réglerait pas tout. Certains faits plaidant en sa faveur demeurent néanmoins : il s’agit de la mesure la plus efficace pour améliorer la situation des travailleurs pauvres sans pour autant priver l’État de revenus nécessaires au financement des services publics.

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