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Lutte à la criminalité au fédéral : quelles alternatives à la mentalité « plus de prisons » ?

6 septembre 2012

  • RL
    Rick Linden

Le gouvernement Harper s’est engagé à investir des milliards de dollars dans les prisons de manière à lutter contre le crime.On a accusé ceux qui s’opposent à cette mesure de faire preuve de laxisme en matière de criminalité et de ne pas prendre la défense des victimes. Dans le débat qui a suivi, les différentes opinions exprimées étaient calquées sur les lignes de parti. Toutefois, abstraction faite de la partisanerie politique, les données révèlent qu’une démarche axée sur l’emprisonnement n’aura qu’un impact marginal sur le nombre de victimes ou qu’elle n’aidera guère celles-ci à faire face aux conséquences de leur victimisation. Malgré cela, il existe des mesures qui se révèlent efficaces et des expériences positives dont on peut s’inspirer.

Plusieurs criminologues s’entendent pour dire que les conservateurs ont raison à certains égards. Premièrement, les crimes commis au Canada sont trop nombreux. Une proportion beaucoup trop élevée de Canadiens sont victimes d’actes criminels et le ministère de la Justice a estimé récemment que le coût de la criminalité s’élevait à 100 milliards de dollars chaque année.

Deuxièmement, les victimes ne sont pas particulièrement bien traitées au Canada. Les ressources financières consacrées aux victimes sont maigres et seulement quelques améliorations négligeables ont été observées au cours des dernières années, et ce, peu importe le parti au pouvoir. Malgré leurs belles paroles, les conservateurs n’ont investi que des sommes symboliques dans l’amélioration des services offerts aux victimes.

Cela dit, le fait d’alourdir les peines et d’instaurer des sentences minimales obligatoires pour contrer la criminalité se révèle peu, voire pas du tout efficace pour réduire les actes criminels et assurer la sécurité au Canada.

Les économistes Steven Durlauf et Daniel Nagin ont récemment passé en revue une douzaine d’études portant sur les effets dissuasifs de l’emprisonnement. Ils ont conclu que l’alourdissement des peines et l’imposition de sentences minimales obligatoires ont peu ou pas d’incidence sur la criminalité. Cela s’explique sans doute par le fait que la grande majorité des infractions n’aboutissent pas à une condamnation ni à un emprisonnement et que la faible probabilité de se voir infliger une peine très sévère n’empêche pas les contrevenants de commettre des actes criminels.

Si la réponse ne réside pas dans la construction de prisons additionnelles, que peut faire le gouvernement pour combattre la criminalité?

Nous savons que la certitude de la sanction aux yeux des contrevenants s’avère beaucoup plus importante que sa sévérité. Par conséquent, les ressources juridiques devraient être affectées prioritairement à l’affermissement de cette certitude plutôt qu’à l’agrandissement des prisons.

La meilleure façon d’y parvenir consiste à employer à l’endroit des récidivistes une stratégie dissuasive ciblée.On informe les criminels notoires qu’ils feront l’objet d’une attention spéciale et qu’aucune infraction à la loi ne sera tolérée (tolérance zéro). Des équipes de policiers, d’agents de probation et d’agents de libération correctionnelle ont la responsabilité de veiller à ce que ces promesses soient tenues. Les contrevenants reçoivent tout l’appui nécessaire s’ils choisissent d’abandonner leurs activités criminelles.

La Stratégie d’élimination des vols de véhicules à Winnipeg est un exemple de programme dissuasif ciblé. En 2006, le taux de vol de véhicules de Winnipeg était d’environ 80 % supérieur à celui de la ville canadienne ou américaine suivant dans la liste des taux les plus élevés. Dans la capitale manitobaine, un crime sur cinq était un vol de véhicule.

Une équipe interinstitutionnelle a identifié plus de 100 criminels notoires et les a informés qu’ils seraient soumis à des vérifications de couvre-feux toutes les trois heures et que toute infraction aboutirait à une inculpation. La stratégie reposait également sur un programme d’aide à l’installation obligatoire d’un dispositif antidémarrage pour les véhicules, des programmes sociaux améliorés pour les jeunes à risque élevé et des programmes communautaires pour les autres jeunes à risque.

Depuis 2006, les taux de vols de véhicules ont chuté de 83 % et Winnipeg compte 11 000 actes criminels en moins chaque année. Les 50 millions de dollars investis pour la mise en place de la stratégie a été rapidement compensé et chaque année, les automobilistes de Winnipeg épargnent plus de 30 millions de dollars sur leurs primes d’assurance.

À Boston, un autre programme dissuasif ciblé a permis de réduire de 63 % les homicides liés aux gangs de rue. Après avoir réussi à reproduire ce programme dans plusieurs autres villes, le gouvernement américain a décidé d’investir des milliards de dollars pour financer des programmes semblables un peu partout à travers le pays dans le cadre du Project Safe Neighborhoods (Projet quartiers sûrs).

À l’inverse, le gouvernement canadien s’est attaqué aux fusillades entre gangs de rue en 2006 en imposant par voie législative des peines minimales obligatoires de cinq ans pour les crimes armés. Dans les trois années qui ont suivi l’adoption de cette disposition législative, le nombre d’homicides liés aux gangs et commis avec une arme de poing a en fait augmenté avant de diminuer en 2010.

Ces remarquables baisses d’actes criminels à Winnipeg et à Boston se sont produites sans l’adoption d’une nouvelle loi ou l’incarcération d’un plus grand nombre de personnes. Il est donc possible de réduire simultanément les actes criminels et l’emprisonnement.

Lorsque la certitude des sanctions existe, le renforcement de leur sévérité ne s’avère pas nécessaire pour réduire le nombre d’actes criminels. Les données indiquent qu’il est possible d’en arriver à une diminution de la criminalité et à une réduction du nombre de personnes incarcérées, de façon simultanée, ce qui par ailleurs permettrait de réduire les dépenses publiques.

Plutôt que de gaspiller des milliards dans la construction de nouvelles prisons, les Canadiens devraient investir cet argent de manière à accroître la certitude d’une arrestation pour les récidivistes, à élargir les programmes éprouvés de développement social en vue de réduire le nombre de contrevenants potentiels et à soutenir réellement les victimes d’actes criminels. Si les Canadiens tiennent à déclarer la guerre au crime, nous devrions au moins employer des armes plus modernes.

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