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Les médecins au pied du mur

29 juin 2016

  • Guillaume Hébert

L’IRIS publiait hier une note socio-économique sur la rémunération des médecins québécois. Dans cette publication, nous montrons comment la taille de l’enveloppe budgétaire qui sert à payer les médecins s’est hypertrophiée et pourquoi il est urgent de reprendre le contrôle de ces dépenses. Tant le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette que le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) ont réagi à notre document. Et ils ne l’ont pas aimé.

On s’y attendait, bien entendu. Il y a d’abord le ministre Barrette qui a affirmé que notre démarche visant à ramener la rémunération au niveau de l’Ontario était vaine. (dans la note, nous nous appuyons effectivement sur les calculs de l’économiste Pierre Fortin afin de recommander une diminution de 12 % de la rémunération des médecins québécois).

Selon le ministre, les Québécois·e·s verseraient aux médecins moins d’argent par habitant que les Ontarien·ne·s donc il n’y aurait rien à diminuer. Or, il ne s’agit pas d’une donnée surprenante dans la mesure où les dépenses de santé par habitant au Québec sont les plus basses au Canada.

Si l’on considérait plutôt une autre donnée, soit celle de la taille de la rémunération médicale comparée à la taille de l’économie (mesurée par le produit intérieur brut, PIB), on s’apercevrait cette fois qu’elle pèse désormais plus lourd au Québec que dans le reste du Canada, comme le montre ce graphique tiré de notre note :

Quant au communiqué de la FMOQ, il est fidèle à l’esprit des communications des fédérations médicales des dernières années : une charge indignée et… plutôt vide. La note que nous avons publiée serait donc « biaisée», « bâclée », alouette…, et il faut croire la FMOQ sur parole puisqu’elle ne se donne guère le souci d’élaborer.

En revanche, elle ne rate pas l’occasion de se poser en victime, dénonçant un « concert anti-médecin », elle qui évoque volontiers une « chasse aux sorcières » contre les médecins québécois.

Nous avons relaté à quelques reprises comment les déclarations des médecins québécois nous ont semblé ahurissantes par leur arrogance et leur incapacité de prendre la mesure de l’exaspération populaire à leur endroit. Comme si les fédérations médicales vivaient avec le lourd handicap d’un complexe de supériorité qui écorche durement et durablement leur image (et celles de ces personnes absolument extraordinaires qui ne pratiquent la médecine ni pour l’argent, ni pour le statut, comme les Médecins québécois pour un régime public).

Pourtant, pas besoin d’être médecin pour savoir qu’on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire du laitier… Les médecins québécois réussiront peut-être à se sauver avec la caisse et devenir les roitelets d’un réseau de groupes de médecine de famille (GMF), ils et elles ne doivent pas s’attendre en plus à l’admiration et à l’estime.

*****

Rappelons quelques-unes des idées contenues de notre publication d’hier. Elle présente un état de la situation concernant les hausses de la rémunération médicale au Québec et propose quelques pistes pour « mettre un terme à l’hémorragie ».

L’essentiel tient dans ce graphique :

On y voit que la rémunération globale des médecins québécois a connu une hausse fulgurante (+78 %) depuis l’entente sur le rattrapage signée en 2007 entre le gouvernement et les médecins. Si rien n’est fait, cette hausse se poursuivra et grèvera plus encore le budget québécois.

En comparaison, on s’aperçoit que le nombre d’actes médicaux croît beaucoup moins rapidement (+16 %). Cinq fois moins, pour être exact. La FMOQ a beau plaider que la rémunération à forfait se répand et remplace en partie la rémunération à l’acte, elle demeure tout compte fait minoritaire et ne peut expliquer un tel écart.

Les médecins individuellement ont donc augmenté leur rémunération moyenne de 63 % en dix ans, soit trois fois plus que l’augmentation du coût de la vie. Les médecins ont empoché en moyenne 125 000 $ de plus en 2014 que ce qu’ils recevaient en 2004. Pour un médecin spécialiste, cela signifie une rémunération moyenne brute de près de 400 000$.

Pour certaines spécialités, les moyennes sont plus élevées encore. Les ophtalmologistes reçoivent par exemple en moyenne près de 650 000 $ de la RAMQ. Par ailleurs, en 2015, on recensait 174 médecins ayant facturé plus d’un million de dollars.

Autre fait dérangeant : entre 2010 et 2014, en pleine période d’austérité, la rémunération médicale augmentait de 8,5 % par année alors que l’ensemble des dépenses de santé, sous l’effet des compressions, n’augmentaient que de 2-3 % en moyenne par année.

Pour colmater la brèche, l’IRIS a formulé une série de recommandations, en commençant par une diminution de l’enveloppe de la rémunération des médecins. L’idée d’un gel fait déjà son chemin au Québec. Il faut selon nous aller plus loin, et ramener cette rémunération au niveau de l’Ontario.

Nous proposons également d’accélérer la révision du mode de rémunération des médecins. On peut s’attendre à ce que cet exercice conduise à réduire le recours à la couteuse rémunération à l’acte. Nous proposons également davantage de contrôles de la facturation médicale et de sanctions contre les médecins délinquants, notamment ceux qui soutirent sans scrupule des frais accessoires à leurs patient·e·s en plus des largesses budgétaires dont ils profitent déjà.

Chose certaine, après avoir été longtemps des intouchables, les médecins devront s’adapter à un nouvel environnement où ils et elles ne bénéficieront plus de la confiance aveugle de tous et toutes. La variable inconnue qui subsiste, c’est combien de temps encore les représentants des organisations médicales s’adresseront à ceux et celles qui relèvent l’irréfutable comme s’ils avaient à faire à une caste inférieure…

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