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Les enfants invisibles

21 juin 2013

  • Guillaume Hébert

Mercredi, le Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) nous apprenait que la moitié des enfants qui habitent une réserve autochtone au Canada vivent dans la pauvreté. Pour un pays qu’on essayait encore de nous présenter comme le « plus meilleur » il y a quelques années à peine, on peine à y croire.

En 1989, les parlementaires canadiens s’étaient engagés à éliminer la pauvreté chez les enfants avant l’an 2000. Ni cet engagement solennel, ni la prospérité des années 90, n’aura été suffisant pour atteindre cet objectif. Le résultat aujourd’hui est que le Canada figure au 25e rang (sur 30) des pays de l’OCDE pour le nombre d’enfants (17%) qui vivent dans la pauvreté. C’est le chiffre qu’on obtient si, à l’inverse de certaines statistiques officielles, on inclut tous les enfants, … y compris ceux des peuples autochtones. Il faut croire que même pour les statistiques, les Autochtones sont parfois invisibles…

Le rapport du CCPA détaille la pauvreté chez les enfants en général, et chez les enfants autochtones en particulier. Chez les métis, Inuit ou Autochtones sans le statut officiel, 27% des enfants sont pauvres. Si on ajoute les enfants qui habitent les réserves et dont la moitié est pauvre, on obtient un total de 40% de pauvreté chez les enfants autochtones.

Le rapport indique aussi que cette pauvreté touche 22% des enfants des minorités racisées et 33% des enfants d’immigrants de première génération.

La figure suivante illustre la répartition de la pauvreté chez les enfants au Canada.

Graphique

Fait à noter, les enfants autochtones représentent 6,2% des enfants au Canada même si les Autochtones ne représentent que 3,8% de la population (chiffres de 2006).

La pauvreté affecte ces enfants sur une série d’indicateurs que le rapport note : le revenu de la famille, la scolarité des parents (60% n’ont pas de diplôme d’études secondaires), la surpopulation de logements (11% vivent dans un logis hébergeant plus d’une famille) et l’itinérance, la qualité de l’eau, la mortalité infantile, la santé, etc. Il est généralement connu que le taux de suicide est élevé chez les peuples autochtones; il est effectivement de cinq à sept fois plus élevé chez les jeunes autochtones que dans le reste de la population.

La situation est un peu différente au Québec où les enfants autochtones sont moins nombreux que dans les autres provinces et où la pauvreté y est également moins élevée (27%). Il n’en demeure pas moins qu’elle est presque deux fois plus élevée que pour le reste des enfants québécois (15%).

Comme il arrive souvent lorsqu’il est question des peuples autochtones, la nouvelle a fait du bruit à l’étranger : elle est apparue sur le site de la BBC ainsi que celui du Wall Street Journal.

Le CCPA a calculé combien il en coûterait pour sortir de la pauvreté tous les enfants au Canada : 7,5 G$. Pour les enfants autochtones, c’est 1G$ dont on aurait besoin. Dans le budget fédéral, ces chiffres ne pèsent pas lourd, surtout au regard d’un thème aussi sensible. Ainsi, si on augmentait de 11% le budget des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien, on obtiendrait ce milliard.

Et si l’on veut rassurer les chambres de commerce, une Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones avait déjà calculé en 1996 que le coût (en termes de productivité) de cette population hypothéquée s’élevait à 7,5 milliards annuellement, un chiffre qui aura considérablement augmenté depuis.

Comme pour l’itinérance, le coût occasionné par l’inaction est donc aussi grand, sinon bien plus grand, que celui de l’action. En somme, non seulement l’approche des gouvernements est inhumaine à bien des égards, elle est en plus contre-productive d’un point de vue économique.

Parlant de blocages idéologiques, il n’y a pas que le CCPA qui intervenait sur le thème des conditions de vie des Autochtones cette semaine. Au lendemain de la publication citée dans ce billet, l’Institut Fraser intervenait à son tour et affirmait que c’est la possession d’une propriété individuelle qui favorise la prospérité de certains individus chez les Premières nations.

C’est dire que les peuples autochtones sont bien loin d’être au bout de leur peine. Non seulement les conditions matérielles dans lesquelles vivent leurs communauté sont effarantes, mais il demeure manifestement acceptable pour certains de faire preuve d’un colonialisme décomplexé à leur égard en leur servant ce que les théoriciens de l’homo œconomicus ont de plus grossier.

En cette Journée nationale des Autochtones, ne vous trompez pas de rapport. Celui du CCPA est disponible ici.

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