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Le Québec coincé par ses impôts. Vraiment ?

5 juin 2016

  • PB
    Pierre Beaulne

« Le Québec coincé par ses impôts » titrait La Presse à la une le 24 mai dernier. Et de préciser l’article : « Le Québec est la nation dans le monde qui dépend le plus de l’impôt sur le revenu des particuliers pour financer ses services publics ». Enfin presque, pouvait-on lire ensuite. Le Québec consacrerait l’équivalent de 13,5 % de son Produit intérieur brut (PIB) à l’impôt sur le revenu des particuliers, ce qui placerait celui-ci au 3me rang des pays avancés derrière le Danemark (27,7%) et l’Islande (13,8 %). Voilà des statistiques évoquées par l’économiste Luc Godbout au dernier congrès de l’Association des économistes Québécois (ASDEQ) à l’appui de sa proposition visant à redéployer la fiscalité pour donner plus de poids aux taxes à la consommation.

Qu’en est-il au juste ? En soi, oui, la donnée avancée par Luc Godbout est exacte. Mais il s’agit d’un aspect seulement d’une réalité à facettes multiples. Et on ne peut s’appuyer sur une seule donnée pour conclure, comme Luc Godbout, à un nécessaire rehaussement des taxes, même en assaisonnant avec une pincée de vieillissement pour être certain d’augmenter l’effet dramatique

Pour apporter un éclairage plus complet sur le sujet, nous avons procédé à un examen comparatif des données les plus récentes sur les revenus des provinces centrales canadiennes.

1. Aspects méthodologiques

La structure de la fiscalité au Canada est complexe, notamment en raison de l’existence de trois, voire quatre ordres de gouvernements : fédéral, provinciaux et territoriaux, locaux, autochtones. Ce qui ne facilite guère les comparaisons c’est qu’il existe des transferts d’espace fiscal asymétriques entre ces ordres de gouvernements, particulièrement en ce qui concerne le Québec. On peut penser ici à l’abattement spécial du Québec de 16,5 % de l’impôt fédéral sur les revenus des particuliers. Ce mécanisme permet au Québec de hausser ses propres impôts d’un ordre de grandeur équivalent à la réduction consentie par le gouvernement fédéral. Il s’ensuit qu’une comparaison de l’impôt sur les revenus des particuliers entre les provinces désavantage le Québec puisque c’est la seule province où cette disposition s’applique. Une autre différence notable entre la fiscalité du Québec et celle des autres provinces canadiennes a trait au financement de l’éducation primaire et secondaire. Au Québec, le financement est davantage pris en charge au niveau provincial, tandis qu’ailleurs au Canada il relève plus des gouvernements locaux. De ce fait, le financement au Québec fait davantage appel à l’impôt sur le revenu des particuliers que dans les autres provinces où il repose plus sur les impôts fonciers. Cela a des incidences différentes sur les charges fiscales supportées par les entreprises et les particuliers. Outre les prélèvements fiscaux et les cotisations sociales, les gouvernements disposent d’autres sources de financement, notamment les placements et la vente de biens et services, qui comptent pour environ 15 % des revenus totaux.

Il faut donc examiner la fiscalité d’une province dans son ensemble pour effectuer des comparaisons significatives. C’est pourquoi dans cet exercice nous prenons en compte les revenus fédéraux provenant des provinces, en plus des revenus des gouvernements provinciaux et locaux, des administrations autochtones, du RRQ/RPC, tout en éliminant les transferts entre gouvernements. Les statistiques évoquées par Luc Godbout sont fondées sur de telles bases.

Il faut également ramener les données sur une base comparable pour faire des comparaisons entre des entités de taille différente. On peut exprimer les données fiscales en proportion du PIB ou encore sur une base par habitant. Nous retenons ici les deux approches. Dans ce qui suit, les comparaisons se limitent au Québec et à l’Ontario parce que ces provinces sont les seules dont les structures industrielles s’apparentent. Les données proviennent des tableaux de Statistique Canada Cansim 384-0047 (Finances publiques), 384-0038 (PIB) et 051-0001(Population).

2. Impôt sur le revenu des ménages

En 2014, les recettes fiscales au chapitre de l’impôt sur le revenu des ménages s’élèvent à 6 082 $ par habitant au Québec, comparativement à 6 362 $ pour l’Ontario, soit 280 $ de moins. En même temps, le PIB par habitant au Québec  est de 17 % plus faible que celui de l’Ontario.

Ainsi, on paye un peu moins d’impôt sur le revenu au Québec qu’en Ontario (en comptant ce qui va au fédéral), mais comme la richesse collective est plus faible, l’effort relatif s’avère plus important.  L’identité suivante permet de faire les liens.

IR    =   IR    x  PIB 

POP     PIB      POP

(IR : Impôt sur le revenu des ménages; POP : population; PIB : Produit intérieur brut)

Québec : 6 082 = 0,135  x  45 048           ou encore   0,135 = 6 082 / 45 048

Ontario  : 6 382 = 0,121  x  52 785                                0,121 = 6 382 / 52 785

Quand on ventile les contributions selon les gouvernements, on note qu’on paye plus d’impôt sur le revenu au niveau provincial au Québec qu’en Ontario, mais nettement moins au niveau fédéral. À ce titre, les Québécois contribuent 3 387 $ par habitant au gouvernement provincial et 2 695 $ au gouvernement fédéral. Les Ontariens contribuent 4 036 $ par habitant au fédéral et 2 326 $ au provincial. Trois raisons principales expliquent ces différences : l’abattement spécial du Québec de 16,5 %, un régime d’imposition du revenu globalement plus onéreux au Québec, des revenus des ménages en moyenne plus élevés en Ontario.

3. Taxes sur les produits

Si on compare les taxes sur les produits (qui englobent les droits douaniers, les taxes de vente, les droits d’accise de tout genre, comme sur l’essence, le tabac, le divertissement, la restauration et l’hébergement, les taxes sur l’alcool, les licences et permis de conduire, etc.), on constate qu’elles sont plus onéreuses au Québec qu’en Ontario.

On consacre 4 013 $ par habitant au Québec pour les taxes sur les produits, comparativement à 3 867 $ en Ontario, soit 146 $ de plus. En proportion du PIB, le Québec consacre 8,9 % aux taxes sur les produits comparativement à 7,3 % en Ontario.

4. Autres dispositions

L’impôt sur les revenus des entreprises rapporte 334 $ par habitant de moins au Québec qu’en Ontario. L’écart de rendement est nettement plus prononcé au niveau fédéral qu’au niveau provincial (252 $ vs 82 $). La contribution fiscale au fédéral des entreprises opérant au Québec est sensiblement plus faible que celle des entreprises opérant en Ontario, alors qu’elles sont assujetties au même régime d’imposition. Il faudrait examiner les caractéristiques des entreprises pour mieux comprendre l’origine de ces différences.

En ce qui a trait aux impôts sur les facteurs de production le Québec dépense un peu plus que l’Ontario : 68 $ par habitant. Cet agrégat masque des différences sensibles. Le Québec recueille deux fois plus que l’Ontario au chapitre des taxes sur la rémunération : 817 $ contre 389 $. Mais l’Ontario perçoit davantage au chapitre des impôts fonciers : 1 848 $ par habitant contre 1 588 $ pour le Québec.

Les cotisations aux régimes d’assurance sociale, qui concernent surtout l’assurance-emploi et le RRQ/RPC, sont sensiblement équivalentes. Dans cette catégorie, le Québec contribue 38 $ par habitant  de plus que l’Ontario, en raison de programmes plus spécifiques.

La fiscalité québécoise tire d’autres revenus des ménages par une variété de transferts regroupés sous la rubrique autres transferts courants des  ménages. Ceux-ci s’établissent à 548$ par habitant au Québec comparativement à 278 $ pour l’Ontario, soit 271 $ de plus. Près de la moitié de l’écart (119 $) s’explique par les primes d’assurance-santé.

Les provinces tirent sensiblement la même proportion de leurs revenus de la fiscalité, soit  86,9 % pour l’Ontario et 84,1 % pour le Québec. Les revenus non fiscaux proviennent surtout des revenus de placements et de la vente de biens et services. Alors que l’Ontario table davantage sur les ventes de biens et services, le Québec tire davantage de revenus de ses placements. Au chapitre des revenus de placements Québec recueille 1000$ par habitant de plus que l’Ontario. Ces revenus proviennent des redevances, des intérêts et revenus de placements, et surtout des bénéfices reçus des entreprises publiques. En revanche, au rayon des ventes de biens et services le Québec recueille 353 $ par habitant de moins que l’Ontario.

Conclusion

Au total, les recettes des administrations publiques du Québec excèdent celles de l’Ontario de 438 $ par habitant, soit  20 979 $ contre 20 541 $. Cela représente un écart global de 3,6 milliards. Est-ce dramatique ? À ce coût, les Québécois peuvent se donner des services publics de qualité parmi les meilleurs, notamment en santé, en éducation et en services sociaux. Ils peuvent bénéficier de programmes de soutien financier pour les enfants et les personnes âgées, d’une certaine sécurité du revenu pour les chômeurs et les personnes  plus démunies, d’une variété de services municipaux. Ils peuvent assurer le service d’une dette qui sert en bonne partie à financer les infrastructures. Ils peuvent s’offrir un véhicule public qui comporte beaucoup plus d’options que celui du voisin, entre autres : garderies à contribution réduite, assurance-médicaments semi-publique, assurance-auto pour dommages corporels, frais de scolarité plus faibles, congés parentaux.

Personne ne saurait nier que le régime fiscal est perfectible, tout comme les services publics et les programmes sociaux peuvent être améliorés. Sans minimiser l’importance de l’efficacité, ces questions doivent être abordées dans la perspective d’une meilleure équité, d’une plus grande justice redistributive et d’un financement adéquat.

Revenus des administrations publiques, par habitant, Québec et Ontario, 2014
Administrations publiques*

Écart

Québec

Ontario

$

$

$

Revenus des administrations publiques

20 979

20 541

438

Impôts sur les revenus des ménages

6 082

6 362

-280

Impôts sur les revenus des sociétés

1 444

1 777

-334

Impôts sur les revenus des non-résidents

137

181

-43

Cotisations aux régimes d’assurance sociale

2 628

2 590

38

Impôts sur les facteurs de production

2 705

2 636

68

  Taxes sur la rémunération

817

389

428

  Impôts fonciers

1 588

1 848

-260

  Autres impôts sur les facteurs de production

301

400

-99

Taxes sur les produits

4 013

3 867

146

Autres transferts courants des ménages

548

278

271

Transferts courants des institutions sans but lucratif

67

138

-71

Autres transferts courants des non-résidents

10

14

-3

Revenus de placements

1 625

625

1 000

Ventes de biens et services

1 719

2 072

-353

Produit intérieur brut (PIB) G$

370 064

721 970

Population

8 214 885

13 677 687

*Comprend Administration publique fédérale, Administrations publiques provinciales,
Administrations publiques locales, Adminsitrations publiques autochtones, RPC/RRQ
Sources: Statistique Canada, tableaux Cansim 384-0047, 384-0038 et 051-0001. Calculs de l’auteur.
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